Fourier
relations avec les autres commerçants
comme avec leur clientèle, que cela leur plaise ou non.
Fourier est désormais à la recherche d’une « méthode de garantie
ou tutelle générale » propre à forcer chaque commerçant à agir comme s’il était
mû par l’honnêteté et l’amour de la vertu. Il passe plusieurs mois à imaginer
des institutions permettant de réaliser un tel objectif. Il propose par exemple
que la corporation commerçante tout entière soit insérée dans un groupe de
compagnies d’assurance qui soit « responsable collectivement du produit que la
société leur confie pour en opérer l’échange et la distribution 15 ». On le voit aussi imaginer divers
systèmes de patente : afin de réduire le nombre de commerçants et de mieux
contrôler leurs activités, on établirait des syndicats, dont les membres
devraient payer une patente de plus en plus élevée chaque année - ou sinon se
consacrer « aux cultures, fabriques et entreprises productives 16 ». Fourier imagine enfin la création d’un
réseau d’entrepôts coopératifs (« l’entrepôt concurrent ») où la circulation et
l’évaluation des marchandises s’effectueraient sans que jamais elles ne
deviennent la propriété des marchands et des autres intermédiaires 17 . C’est ce dernier plan, avec son
corollaire, à savoir l’élimination pure et simple de la corporation marchande,
qui le convainc, semble-t-il, de chercher le remède aux « crimes du commerce »
dans l’application du principe d’association.
En cette seconde moitié du XVIIIe siècle, l’idée d’association
trouve toujours un certain écho en France 18 .
Certes, Turgot et les physiocrates soutiennent que la clef de la prospérité
économique réside dans l’abolition des corporations et autres formes
archaïques, qui ne servent à leurs yeux qu’à empêcher la circulation de la
richesse, des marchandises et des personnes, mais l’opposition à
l’individualisme économique persiste néanmoins. On voit parfois proposer comme
remède à la misère paysanne en particulier l’instauration de communautés
autonomes, d’associations producteur-consommateur où la propriété serait
collective et le travail fait en commun. L'Encyclopédie elle-même, pourtant à
plus d’un égard favorable à l’individualisme économique, publie un article
préconisant les « associations de bons citoyens » et les « associations de gens
laborieux » comme « l’unique moyen d’assurer le bonheur des hommes [...] et de
leur épargner une infinité de sollicitudes et de chagrins, qu’il est moralement
impossible d’éviter dans l’état de désolation où les hommes ont vécu jusqu’à
présent ». On voit aussi s’esquisser, à Lyon et dans d’autres grandes villes,
de rudimentaires associations de consommateurs afin de grouper les achats de
nourriture ou de bois de chauffage. Enfin, dans la province natale de Fourier,
on assiste dès la fin du XVIIIe siècle à un développement significatif des «
fruitières », coopératives paysannes pour la manufacture du fromage de Comté 19 .
Fourier était familier de ces « fruitières ». Pour les autres
types d’association, on ignore le degré de connaissance qu’il en avait et
jusqu’à quel point il en avait suivi le développement, mais dès le début du
Directoire il est clair que l’idée d’association en soi le fascine. Soucieux de
réforme urbaine, il a été amené à imaginer un « nouveau genre de ville » où, du
moins dans le bas de l’échelle sociale, achat, préparation et consommation de
la nourriture se feraient en commun. Souhaitant réformer le commerce, il en est
venu à concevoir divers modes d’association ayant pour but de réguler l’échange
et la distribution des marchandises. A partir de là, il n’y a qu’un pas à
franchir pour transposer l’idée d’association du domaine de la consommation et
de la distribution à celui de la production. Il pense alors surtout à
l’association agricole :
Plus d’une fois l’on a entrevu qu’il résulterait des
économies et des améliorations incalculables si l’on pouvait réunir en société
industrielle les habitants de chaque bourgade, associer en proportion de leur
capital et de leur industrie deux à trois cents familles inégales en fortune
qui cultivent un canton [...] trois cents familles de villageois associés
n’auraient qu’un seul grenier bien soigné, au lieu de trois cents greniers mal
en ordre ;
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