Fourier
que, dans son
plus vaste plan, il avait aussi des observations à faire sur la décoration
extérieure des édifices de la ville modèle et sur les distinctions graduées à
respecter entre rues, bâtiments et ornementation, que ce soit dans le
centre-ville, les banlieues ou les zones rurales adjacentes 11 . On sait aussi que ces premières
réflexions sur la réforme de l’architecture urbaine amenèrent Fourier à
concevoir une ville, ou une communauté, où tout serait collectif : le stockage
de la nourriture, sa préparation et les repas.
La ville selon Fourier devait avoir beaucoup d’espaces libres,
ainsi qu’une architecture élégante et bien proportionnée. Cela signifie
construire des habitations relativement vastes. Aussi, seuls les très riches
seraient en mesure d’être propriétaires d’un bâtiment entier et du terrain
autour. Quant aux autres, la bourgeoisie et les classes populaires, il leur
faudrait loger dans des appartements. Dans ces conditions, pourquoi ne pas
prévoir dans chaque maison une cuisine, une salle à manger, une salle de bains
communes ? Le principal avantage, écrira-t-il plus tard, d’une grande unité
d’habitation comme il en imaginait serait de « se prêter à une association
partielle des ménages, au moins pour la préparation des subsistances, qui est
l’objet le plus dispendieux chez le peuple ». Sans à proprement parler imposer
l’association, de telles maisons la rendraient « aisée à provoquer ». On voit
comment, à partir de ses premières spéculations sur la réforme de
l’architecture urbaine, Fourier est conduit à envisager les avantages de
certaines formes d’association domestique. On retrouve un cheminement identique
avec ses premières réflexions sur le commerce.
Si l’on peut faire remonter à l’année 1789 le souci chez Fourier
de la planification urbaine, son intérêt pour la réforme du commerce a des
racines beaucoup plus anciennes. Tout est né, selon lui, de la « réprobation »
dont, encore jeune homme, il fut l’objet pour son incapacité à se conformer aux
pratiques commerciales douteuses que sa famille comme ses premiers patrons
employaient sans sourciller et comme allant de soi.
Convaincu dès l’enfance d’incliner à la droiture et à la
confiance, j’étais de toutes voix déclaré inhabile au commerce... La
réprobation dont je fus partout honoré excita de bonne heure mes dédains et
m’entraîna par esprit de rivalité dans des calculs sur un moyen de fortune qui
va surprendre tous les marchands, sur la vérité !!! 13
D’expérience, ou pour l’avoir observé, Fourier savait que
l’honnêteté n’était pas la meilleure des politiques pour qui ambitionnait de
réussir dans le négoce. Le commerçant qui trompe sur la marchandise, ou sait la
présenter sous un jour fallacieux, a beaucoup plus de chances de prospérer que
celui qui joue la carte de l’honnêteté en affaires. Mais est-il possible, se
demande Fourier, d’imaginer une situation où un commerçant se conduisant avec
la plus grande probité connaîtrait néanmoins la prospérité ? C’est avec cette
question en tête qu’il part à la recherche de ce qu’il appellera plus tard « le
calcul hypothétique de la vérité ». « J’ai suivi dans ce calcul, écrit-il, le
procédé algébrique. Je supposai l’existence des inconnues problématiques, de la
vérité, la justice, la liberté et l’association [...] comme si leur emploi ne
présentait aucun obstacle 14 . »
Dès son entrée dans le négoce, semble-t-il, Fourier s’est
interrogé sur la relation entre commerce et moralité. Il dira plus tard avoir
passé « plusieurs années » en « vaines recherches » sans parvenir à trouver
comment on peut éviter la ruine si l’on reste d’une absolue probité. Au début
du Directoire (vraisemblablement vers 1796), on voit les réflexions de Fourier
prendre un tour plus hardi. Jusque-là, il avait vu la question uniquement sous
l’angle du comportement ou de la morale individuels ; il commence désormais à
envisager la possibilité d’une solution collective ou institutionnelle.
L’honnêteté ne sera économiquement rentable que le jour où le commerçant
honnête pourra compter sur les autres pour observer les mêmes normes de
moralité que lui : il faut donc concevoir de nouvelles institutions de nature à
inciter les commerçants à jouer le jeu de la vérité, ou du moins à les obliger
à faire preuve d’honnêteté dans leurs
Weitere Kostenlose Bücher