Fourier
l’échange de marchandises ou de
monnaie. Au cours du XVIIe siècle, on voit apparaître une distinction entre
courtiers de commerce (qui traitent des marchandises) et agents de change (dont
la spécialité est l’argent). Chacun de ces deux groupes s’organise en une
corporation fermée, dotée d’un syndicat. Les charges, hautement lucratives, de
courtier de commerce et d’agent de change deviennent des charges à vie, vendues
par la Couronne. Légalement, les fonctions de courtage sont exclusivement
réservées aux membres titulaires de ces corporations. En réalité, ce privilège
royal accordé aux seuls titulaires ne fut jamais vraiment respecté par les
autres, ceux qui n’avaient pas eu les moyens de s’acheter une charge et
d’entrer dans la corporation. C’est ainsi que, pendant tout l’Ancien Régime, on
voit les titulaires se plaindre de la pratique du courtage clandestin. Le nom
donné à ces usurpateurs, qui n’ont pas officiellement le droit de paraître sur
la « scène » de la Bourse, est celui de « coulissiers ». Au XVIIIe siècle, on
va leur trouver un surnom encore plus pittoresque : Bernardin de Saint-Pierre,
avec ses romans, a mis à la mode la vie créole des Antilles ; on appelle à
Saint-Domingue « marrons » les esclaves fugitifs; d’où le nom donné aux
courtiers sans brevet et quasi clandestins : les marrons 35 .
La Révolution estompe provisoirement la distinction entre
courtiers officiels et marrons. En 1791, les corporations sont abolies, celle
des courtiers et celle des agents de change comme les autres. La profession
devient libre d’accès, sur simple paiement d’une petite patente. Il en résulte
une rapide augmentation du nombre des individus employés à des fonctions de
courtage. Avec l’arrivée au pouvoir de Napoléon, les institutions, notamment
commerciales, sont à nouveau soumises à une stricte réglementation : en 1801 le
monopole des courtiers titulaires est restauré dans son privilège.
Au lendemain de cette mesure, plus d’un petit courtier se
retrouve hors la loi. Peu, toutefois, cessent pour autant leurs activités :
sous le Consulat et l’Empire, la loi interdisant le courtage clandestin, ou
marronnage, est plus mal respectée encore que sous l’Ancien Régime. C’est que
les marrons jouent en fait un rôle social important : ils servent
d’intermédiaire pour de petites transactions dans lesquelles les courtiers en
titre ne se soucient pas de perdre leur temps. Il n’en reste pas moins que les
marrons n’ont pas déposé de cautionnement, qu’ils n’ont pas de statut
légalement reconnu à la Bourse, qu’il y a parfois des risques à traiter avec
eux : aux yeux des titulaires, des courtiers avec brevet, ils constituent une
espèce animale inférieure, dont la simple existence est en soi une menace pour
les affaires.
Les courtiers marrons jalousent le privilège accordé aux
titulaires. Cela ne signifie pas pour autant qu’ils mettent en cause le
principe du monopole. La plupart d’entre eux caressent l’espoir de devenir un
jour titulaires eux-mêmes. Ce sont, pour citer Fourier, des « prétendants » qui
« nourrissent l’espoir d’arriver en partage de monopole 36 ». Fourier ne fait pas exception. A
plusieurs reprises pendant ses années lyonnaises, il adresse aux autorités
locales des pétitions réclamant une extension du monopole. Ainsi, en 1808, il
entend parler d’un projet visant à créer une nouvelle catégorie de courtiers,
spécialisés dans le transport. Sur-le-champ, il adresse au préfet un long
mémorandum, où il appuie ce projet et demande qu’on considère sa propre
candidature. La réponse lui parvient: courtoise, mais négative 37 . Tout de suite, derrière ce refus
préfectoral, Fourier voit les manigances du corps des courtiers officiels («
les exclusifs ») et de la chambre de commerce de Lyon : « Les exclusifs,
dira-t-il plus tard, eurent vent de cette demande et ils firent agir la chambre
de commerce pour l’éconduire 38 . »
En 1812, Fourier se retrouve à nouveau en bisbille avec les «
exclusifs » et la chambre de commerce, sur la question du monopole des
courtiers. Le 5 février 1812, des négociants lyonnais ont adressé une pétition
au ministre du Commerce pour demander une augmentation du nombre des brevets de
courtier. Cette pétition, par ailleurs, dénonce avec violence les « usages
abusifs et scandaleux » que font les titulaires de leur privilège et monopole :
les courtiers
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