Fourier
l’Empereur. Seul le Journal des débats (rebaptisé
Journal de l’Empire en 1805), bastion du féroce, bien que corruptible,
feuilletoniste Julien-Louis Geoffroy, parvient encore parfois à susciter un
vague frisson d’intérêt dans le public, mais ses propriétaires, les Bertin,
doivent sans cesse faire face au harcèlement des autorités et le journal est
finalement confisqué en 1811 1 .
Dans les provinces, l’époque napoléonienne ne fut pas plus qu’à
Paris une époque faste pour le journalisme. La politique impériale consiste à
s’assurer qu’il existe « un journal par département », ce qui constitue un
progrès numérique par rapport à l’Ancien Régime. Mais cette presse ne brille
pas par son éclat. Ce n’est guère qu’une version départementale du Moniteur :
des communiqués et lois émanant de Paris, avec quelques faits divers locaux.
Dès 1801, une circulaire ministérielle interdit la publication dans les
départements de toute nouvelle pouvant porter atteinte au commerce ou troubler
l’opinion publique. En réalité, la censure dans les provinces s’exerce de
manière assez erratique, mais cela est compensé par la grande pusillanimité des
rédacteurs, dont aucun n’appartient, c’est le moins qu’on puisse dire, à
l’avant-garde intellectuelle. Ainsi, en 1806, les lecteurs du Bulletin de
Lyon apprennent-ils « la mort récente, d’une apoplexie », d’Emmanuel Kant :
cela fait alors déjà deux ans que le philosophe de Königsberg gît dans sa
tombe.
C’est à ce même Bulletin de Lyon que, le 3 décembre 1803,
Charles Fourier livre la primeur de sa révélation : l’existence d’une « théorie
mathématique des destinées de tous les globes et de leurs habitants ». Une
révélation faite comme incidemment : cela fait déjà quelque temps en effet que
le « sergent de boutique » tente de se faire un nom en publiant dans la presse
locale des poèmes et articles à priori sans grand rapport avec la théorie des
destinées 2 .
I
La première incursion de Fourier dans le journalisme a lieu deux
mois à peine après son retour de Lyon. De concert avec un jeune dramaturge du
nom d’Alphonse Martainville, il conçoit le projet d’un journal, qui doit s’appeler
le Journal de Lyon et du département du Rhône . Le 11 août 1880, les deux
rédacteurs en puissance écrivent au préfet nouvellement nommé, Raymond
Verninac, pour solliciter l’autorisation officielle. « Depuis longtemps, il ne
s’imprime plus de journal à Lyon », écrivent-ils, ajoutant, prudents, que «
l’existence d’une feuille périodique dans toutes les grandes communes de la
République prouve l’utilité de ces sortes d’entreprises quand elles sont
dirigées par l’amour de l’ordre et le respect du gouvernement 3 ». La proposition reçoit l’appui du
commissaire de police de Lyon, François Noël. Mais le préfet, pour sa part,
voit l’affaire d’un tout autre œil. Après avoir convoqué Fourier et
Martainville, il informe Fouché qu’« un des rédacteurs, le citoyen
Martainville, m’a été signalé dans le temps, par la police, comme un homme
dangereux et sur lequel il fallait avoir les yeux. L’autre, le citoyen
Fourrier, offre également peu de gages de confiance à une administration
républicaine ». Quant à l’imprimerie Tournachon-Molin, qui doit imprimer le
journal, ses propriétaires se sont, note le préfet, « prostitués à la calomnie
et à la contre-révolution 4 ». Cela
sonna le glas du projet 5 .
Cette tentative avortée a quand même pour conséquence de lier
Fourier avec Martainville. Pourtant, de cinq ans plus jeune que Fourier,
Martainville est déjà un ancien combattant des guerres littéraires du
Directoire 6 . Au lendemain de
Thermidor, on le voit fréquenter la jeunesse dorée de Fréron ; en février 1795
(il a dix-sept ans), il prête main forte à la démolition des bustes de Marat
dans la salle Feydeau. Sous la Terreur blanche, il donne libre cours à ses
talents de polémiste dans des pamphlets férocement anti-jacobins comme
« Donnez-nous leurs têtes ou prenez les nôtres ». Avec son énorme bedaine et son
goût immodéré pour les spiritueux, il s’est acquis une réputation de goinfrerie
qui n’a d’égale que sa rage anti-jacobine. Vers la fin du Directoire, il se met
à écrire des vaudevilles, des drames et des féeries. C’est pour essayer de les
faire porter à la scène qu’il est venu à Lyon en 1800.
Un jour, ce bon
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