Fourier
du
temps à un manufacturier pour bâtir sa fortune. L’armateur, lui, « partage les
périls de l’état » en risquant pour lui ses navires et son capital. Mais le
banquier n’est qu’un spéculateur, plus préoccupé de son propre portefeuille que
de l’intérêt de la nation.
[Lorsqu’] une coalition de Banquiers, semblable à celle qui
causa dernièrement la hausse subite des laines d’Espagne ; [lorsqu’] une telle
association, pourvue d’immenses capitaux et pouvant les employer à de grandes
et nobles entreprises sur l’industrie productive, ne spécule que sur des
accaparements, n’est-elle pas comparable à une nuée d’oiseaux malfaisants, qui
ravage tour à tour les diverses contrées où elle se repose 10 ?
On voit poindre dans cette lettre l’attaque contre le
parasitisme des banquiers, des intermédiaires et des manieurs d’argent en
général, qui deviendra un thème central dans la critique générale par Fourier de
la vie économique de son temps. Elle est intéressante à un autre titre, car
elle donne un avant-goût du style polémique de Fourier, et surtout de l’art -
un atout important dans le climat de l’époque - avec lequel il manie si bien
l’ambiguïté qu’on ne sait plus à quoi s’en tenir sur le sérieux de la critique.
Ainsi, à peine a-t-il traité les banquiers d’« oiseaux malfaisants » que,
laissant là son projet de « briser le veau d’or », il reproche soudain à ses
compatriotes lyonnais de n’être, non point trop, mais pas assez banquiers,
comme en atteste leur peu d’enthousiasme à accepter les lettres de change dans
les transactions commerciales. Et de conclure par une invitation aux banquiers
de Lyon à faire preuve d’audace dans leur politique afin que « les bénéfices
énormes de la banque » puissent revenir s’écouler « dans l’un de leurs canaux
naturels, dans Lyon, centre itinéraire des relations commerciales de l’Europe
».
II
La Consulta cisalpine terminée, le Journal de Lyon et du Midi
perdait sa raison d’être ; après le 20 mars 1802, il cesse de paraître. A
l’aune du Consulat, sa brève vie avait néanmoins été une réussite et il ne se
passe guère de temps avant que ses éditeurs, Ballanche père et fils, obtiennent
l’autorisation de publier une nouvelle revue bi-hebdomadaire, le Bulletin de
Lyon, avec, à la tête de la rédaction Jean-Baptiste Dumas et le jeune
Ballanche. Ce dernier est de quatre ans le cadet de Fourier, mais la
publication en 1801 de son ouvrage "Du sentiment considéré dans ses rapports
avec la littérature et les arts", lui a déjà valu une certaine réputation. Ami
intime d’Ampère, de Mme Récamier et de Chateaubriand, Pierre-Simon Ballanche
est alors à l’orée d’une carrière qui va faire de lui une figure de proue du
réveil religieux romantique en France et, plus tard, le flambeau de l’ « école
mystique » de Lyon*.
* Ballanche publiera plus d’une douzaine d’articles de
Fourier et l’aidera plus tard à entrer dans le salon de Charles Nodier à
l’Arsenal, mais les deux hommes avaient néanmoins peu de choses en commun. Dans
Fourier, c’est le géographe et non le visionnaire qu’admirait Ballanche.
Fourier de son côté regardait Ballanche comme « fort estimable en soi », mais
malheureusement victime d’une « folie religieuse ». Voir OC X, PM (1852), 32.
Pas plus que son prédécesseur, le Bulletin de Lyon ne brille par
son audace. La première année, c’est à peine si de temps en temps le compte
rendu d’un fait divers local, un débat sur l’usage des armes à feu ou l’analyse
d’un nouvel ouvrage sur la phrénologie vient pimenter un peu le menu ordinaire
: dépêches officielles, cours de la Bourse et longs extraits de la presse
parisienne. Puis, en novembre 1803, Fourier y fait ses débuts, avec de la
poésie 11 . L’occasion est un de ces
concours d’énigmes versifiées alors fort en vogue, patronné par un amateur de
lettres du nom d’Antoine-Gabriel Jars**.
** Antoine-Gabriel Jars, dont le père, Gabriel Jars, avait
été un pionnier de la métallurgie française, était natif d’Ecully et ingénieur
militaire de profession. Un certain nombre de ses pièces et opéras furent
donnés à Lyon sous le Consulat et l’Empire. Il devait servir comme maire de
Lyon pendant les Cent-Jours puis comme député du Rhône à la fin de la
Restauration et pendant la plus grande partie de la monarchie de Juillet. Il est
mort en 1857. Voir J.
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