Fourier
Vaesen et Joseph Vingtrinier, Une commune du Lyonnais :
Ecully (Lyon, 1909), 312. Sur les efforts que fit plus tard Fourier pour
intéresser Jars à ses théories, v. Pellarin, Fourier, 235.
Le concours semble avoir surtout attiré la gent féminine, dont
les contributions paraissent dans les numéros d’octobre et de novembre 1803.
Parmi les concurrentes, une certaine « Femme A.F. » qui explique en vers que,
n’étant « point accoutumée aux partages », elle conseille à Jars de fondre les
deux prix en un, afin qu’elle puisse être la seule lauréate. Ce poème pique la
curiosité de Fourier. Il soupçonne Jars de l’avoir composé lui-même afin de
susciter un peu d’intérêt pour son concours. Il compose à son tour un poème, où
il fait la satire des femmes de Lyon et de leur inaptitude à écrire de la
poésie 12 .
Le poème de Fourier était un assez conventionnel badinage, écrit
« pour être lu dans une table d’hommes », mais trop « grivois », à son avis,
pour être publié. Jars en juge autrement ; le poème paraît, déclenchant en
retour moult couplets, épigrammes et articles. « Nous aimons mieux les gras
financiers que les maigres poètes », proclame par exemple une certaine Sophie
D., tandis qu’une certaine Clothilde D. écrit au Bulletin pour dénoncer Fourier
comme « auteur impudique » » de « vers érotiques ». Protestant que son style
est « grivois, ce qui est différent d’érotique », Fourier réplique avec une «
Mercuriale à l’eau de rose ». La « Femme A.F. » entre alors à nouveau en lice :
« S’il était possible que cette lettre ne fût pas l’œuvre d’une femme, c’est
vous, Fourrier, que j’en accuserais ; j’imaginerais que vous aviez besoin d’un
prétexte pour nous décocher votre satire. » Après quoi, elle prend toutefois sa
défense, en vers :
Je vous aime, Fourrier, malgré tous vos travers
Vous êtes fou ; mais vous êtes aimable...
Et elle ajoute une note où elle reproche à Fourier son excès de
discrétion en ce qui concerne sa théorie de l’harmonie universelle :
L’harmonie ! Sur ce point, je vous reprocherai votre
négligence, je vous demanderai compte de vos travaux sur l’harmonie sociale qui
doit succéder à la civilisation. Vous nous promettez de grands biens dans ce
nouvel état ; vaudront-ils ceux dont je jouis ? L’amour est mon dieu, l’amitié
mon ange gardien, et vous êtes ma folie. Adieu. Si vous me devinez, ne me
trahissez pas 13 .
On ne sait rien sur l’auteur de ces lignes, mais ses allusions
spécifiques à « l’harmonie sociale » et à la « civilisation » montrent qu’elle
doit appartenir au petit cercle d’amis auquel Fourier a déjà commencé à exposer
ses idées. Une invitation aussi pressante : c’est tout ce que Fourier attendait
pour laisser le badinage céder la place à l’inspiration.
Le 3 décembre 1803, le Bulletin de Lyon contient un article de Fourier
intitulé « Harmonie Universelle ». Premier exposé public de ses idées, cet
article mérite d’être cité dans son intégralité :
Le calcul de l’harmonie dont Madame A.F. réclame la
publicité est une découverte à laquelle le genre humain était loin se
s’attendre. C’est une théorie mathématique des destinées de tous les globes et
de leurs habitants, une théorie des seize ordres sociaux qui peuvent s’établir
dans les divers globes pendant l’éternité.
Des seize sociétés possibles, on n’en voit sur notre globe
que trois : Sauvagerie, Barbarie et Civilisation. Elles vont finir
prochainement, et tous les peuples de la terre passeront à la quinzième société
qui est l’harmonie simple.
Grands hommes de tous les siècles ! Newton et Leibnitz,
Voltaire et Rousseau, savez-vous en quoi vous êtes grands ? C’est en
aveuglement. Vous ne semblerez bientôt que de grands fous, pour avoir pensé que
la Civilisation était la destinée sociale du genre humain. Comment n’avez-vous
pas supposé que ces trois sociétés, sauvage, barbare et civilisée, sont des
échelons pour s’élever plus haut, qu’elles sont un âge d’enfance et
d’imbécillité pour la raison, et que Dieu serait imprévoyant, s’il n’avait
inventé rien de mieux pour le bonheur de l’homme. Ces trois sociétés sont les
plus désastreuses d’entre les seize. Sur les seize, il y en a sept qui
établissent la paix perpétuelle, l’unité universelle, la liberté des femmes.
J’ai dû cette étonnante découverte au calcul
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