Fourier
parfois dans la
doublure de ses marchandises quelque brochure saint-simonienne. Gaudissart
était selon Balzac le « parangon de son espèce », mais il eut en littérature
plusieurs rivaux, tous dotés du même caractère expansif, de la même faconde et
de la même bonne humeur. Parmi eux, le Potard de Louis Reybaud, « le fameux
Potard, autrement dit le vieux troubadour, doyen des commis voyageurs de
l’épicerie et de la droguerie lyonnaise ». Connu de tous les cochers de
diligence depuis Lille jusqu’à Bayonne, Potard était « le Don Juan des cafés,
le Balthazar des tables d’hôte ». Pourtant le roman de Reybaud, écrit en 1841,
neuf ans après L'Illustre Gaudissart , a pour titre Le Dernier des
commis voyageurs . Son message, dans la mesure où il en a un, est une
lamentation sur le déclin de la profession. « Comme la navigation aérienne,
comme les pompes intimes en caoutchouc, comme les Phalanstères [ ! ] et autres
inventions destinées au soulagement de l’humanité », écrit Reybaud, « le voyageur
de commerce appartient au XIXe siècle » : avec l’arrivée des chemins de fer,
l’extension du service postal, l’apparition de la réclame dans les journaux,
les jours du commis voyageur, pense Reybaud en 1841, sont désormais comptés :
la période héroïque est finie 45 .
Parmi ceux qui exercèrent ce métier dans sa période héroïque,
peu auront sans doute été moins conformes que Fourier au portrait-robot
littéraire donné par Balzac ou Louis Reybaud. Les documents historiques
confirment toutefois les romans : la belle époque du commis voyageur fut
relativement brève 46 . Jusqu’aux
dernières années de l’Ancien Régime, les routes sont trop lentes, les voyages
en diligence trop coûteux pour que les négociants puissent penser recourir à ce
genre de représentant itinérant : les marchands drapiers de la fin du XVIIIe
siècle, tels le père de Fourier ou son employeur François-Antoine Bousquet, ont
déjà commencé à mettre sur pied un assez vaste réseau de contacts et à adopter
des techniques modernes de commercialisation. Mais, pour l’essentiel, ils
conduisent leurs affaires en personne, ou tout au plus en faisant appel à des «
correspondants » : des négociants comme eux, installés dans d’autres villes, et
qu’ils rencontrent régulièrement à l’occasion des grandes « foires 47 ».
Jusqu’à la Révolution, plutôt que le commis voyageur, le
personnage qu’on voit le plus fréquemment sur les routes de France est le
colporteur. Le colporteur voyage d’ordinaire à pied ou à cheval. Transportant
ses marchandises sur lui, il s’adresse fatalement à un marché plus limité. Il
travaille le plus souvent pour son propre compte. Ses marchandises sont parfois
d’origine douteuse. Aux corporations commerciales plus établies il inspire la
plus grande méfiance : les cahiers de doléances de 1789 sont remplis de récriminations
contre le colportage, « ce passeport de la fraude et le vagabondage », et
contre les colporteurs 48 . Le
commis voyageur, par contre, jouit d’un statut social plus respectable : il
voyage en diligence ; il est habillé en bourgeois ; il dort à l’hôtel ; presque
toujours, il représente une « maison de commerce », dont il vient présenter les
échantillons.
La plupart de ses transactions se déroulent dans le magasin des
négociants en détail ou en gros à qui il rend visite, mais le commis voyageur fait
aussi pas mal d’affaires dans les foires qui se tiennent régulièrement le long
des principales routes commerciales de l’Europe. En 1800, ces foires sont déjà
un peu un anachronisme dans l’Europe de l’Ouest 49 .
Elles attirent toujours toute une foule de saltimbanques, de comédiens,
d’escrocs, de prostituées, de badauds, mais, à quelques exceptions près (comme
la foire de Beaucaire), le volume des affaires qui s’y traitent est en net
déclin. En Europe orientale, en revanche, notamment en Allemagne et en Russie,
les foires connaissent une efflorescence sans précédent. Avec l’entrée en
vigueur du Système continental, c’est de plus en plus vers le centre de
l’Allemagne, vers la Russie, que les manufacturiers de Lyon se tournent à la
recherche de marchés pour leurs produits, bruts ou manufacturés, dont une
grande part est vendue chaque année à la foire biennale de Leipzig ou de
Francfort 50 .
Napoléon régnant, l’emploi de commis voyageur ne peut pas
n’avoir eu que des désagréments
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