Fourier
vivant plein de charme va devenir le champion de
la moralité la plus austère et du catholicisme ultra et, à la tête du Drapeau
blanc, l’un des publicistes les plus influents de la Restauration, mais, à en
juger par un portrait de l’époque, il n’y a rien d’austère chez le Martainville
du Consulat :
Recelant un esprit vif et original sous une enveloppe
inculte ; cherchant les plaisirs sans choix et les succès sans dignité ; propre
et disposé à tout; décousu dans sa conduite, facile dans ses mœurs, écrasé de
dettes, mais laissant courir sans souci une vie d’expédients et d’aventures ;
du reste, bon compagnon, nullement méchant, et d’une gaieté intarissable... Il
faisait de tout pour vivre, étant à la fois journaliste, dramaturge,
chansonnier, écrivain de petits livres, sentant les lieux qu’il fréquentait,
parlant même dans l’occasion de morale et de vertu : c’était Figaro sous la
forme de Sancho Panza 7 .
Homme d’un appétit énorme, habitué des cafés et des foyers de
théâtre, champion de dominos, homme à femmes, « garçon de bonne humeur », tel
est le Martainville dont Fourier fait la connaissance. Avec le commis voyageur
méticuleux et taciturne de la Maison Bousquet, c’est la nuit et le jour.
Martainville retourne à Paris au début de 1801. Il va y faire
une carrière de dramaturge prolifique, avec des pièces où il tourne en ridicule
diverses folies de l’époque (banqueroutes frauduleuses, triangles domestiques
compliqués) - les mêmes que Fourier prendra souvent pour cibles de ses satires,
infiniment plus mordantes. En 1806, Martainville et Louis Ribié seront la
coqueluche de Paris avec Le Pied du mouton, « mélodrame-féerie comique à grand
spectacle ». Les relations de Fourier avec Martainville ne furent qu’un
épisode bref et peut-être sans grande importance, mais Fourier gardera
longtemps un amour intense du théâtre, et il n’est pas interdit de penser que,
lorsqu’il décrit les merveilles du monde idéal qu’il nomme Harmonie, il a en
partie puisé son inspiration dans les fantaisies baroques et les effets
spéciaux chers au dramaturge dont la route a alors croisé la sienne.
L’intervention du préfet met donc fin à la première tentative
journalistique de Fourier. Ce n’est toutefois que partie remise. Bientôt, une
autre occasion se présente. Au début de 1802, Lyon connaît une brève heure de
gloire avec la Consulta des délégués cisalpins organisée par Napoléon pour
célébrer la fondation de la République italienne. Afin de donner un maximum de
publicité aux sessions de cette Consulta et aux fêtes données pour célébrer
l’élection de Napoléon Bonaparte à la présidence de la nouvelle République, le
gouvernement autorise Antoine-François Delandine et Jean-Baptiste Dumas à
fonder un journal, Le Journal de Lyon et du Midi. Jeune fonctionnaire de la
préfecture du Rhône, ce Dumas va bientôt devenir un ami proche de Fourier.
Quant à Delandine, qui est plus vieux, c’est un érudit et bibliophile local
dont la postérité a retenu sans doute moins ses traités sur le magnétisme et
les mythes antiques de l’enfer qu’une allusion de Benjamin Constant, qui, dans
ses journaux, parle de son « excessive ignorance 8 * »
* Delandine (1756-1820) avait néanmoins siégé aux Etats
généraux et enseigné le droit à l’École centrale. Il devait peu après être
nommé directeur de la bibliothèque municipale de Lyon.
Il est difficile d’estimer exactement la contribution de Fourier
au Journal de Lyon et du Midi dans la mesure où, le plus souvent, les articles
ne sont pas signés. Parmi ceux qui pourraient être de la plume de Fourier, on
peut citer les brefs portraits et caractères comme « Théorie de l’Égoïsme » ou
« De la gaieté » ou « Conseils à un jeune homme, par une femme ». On décèle
également quelques échos de la rhétorique familière dans les « Observations sur
les faillites 9 ». Le seul article
toutefois qu’on puisse avec certitude attribuer à Fourier est une lettre à la
rédaction signée « Quatre... » : Il s’en prend au prestige qui s’attache pour
les Lyonnais à la profession de banquier. Seuls, écrit Fourier, jouent un rôle
dans le commerce les manufacturiers et les armateurs. « Toutes les autres
classes de trafiquants, commissionnaires, banquiers, grossiers et détaillants
ne sont qu’accessoires et agents des deux classes que j’ai citées. » Il faut
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