Fourier
analytique et
synthétique de l’attraction passionnée que nos savants n’avaient pas jugée digne
d’attention, depuis deux mille cinq cents ans qu’ils étudient. Ils ont
découvert les lois du mouvement matériel ; cela est beau, mais ne détruit pas
l’indigence. Il fallait découvrir les lois du mouvement social. Leur
intervention va conduire le genre humain à l’opulence, aux voluptés, à l’unité
du globe. Je le répète, cette théorie sera géométrique et appliquée aux
sciences physiques. Ce ne sera pas une doctrine arbitraire, comme les sciences
politiques et morales, qui vont faire une triste fin. On va voir une fameuse
débâcle de bibliothèques.
Si jamais la guerre fut déplorable, c’est en ce moment ;
bientôt les vainqueurs seront au niveau des vaincus. A qui serviront les
conquêtes, quand le globe entier ne composera qu’une seule nation, n’aura
qu’une seule administration ? Malgré cette unité, il n’existera dans l’harmonie
aucune égalité.
On pourra ménager au chef de la France l’honneur de tirer
le genre humain du chaos social, d’être le fondateur de l’harmonie et le
libérateur du globe, honneur dont les avantages ne seront pas médiocres, et
seront transmis à perpétuité aux descendants du fondateur.
Quelques lecteurs crieront au rêve, au visionnaire.
Patience !
Sous peu, nous les éveillerons eux-mêmes d’un rêve affreux,
le rêve de la Civilisation. Aveugles savants, voyez vos villes pavées de
mendiants, vos citoyens luttant contre la faim, vos champs de bataille et
toutes vos infamies sociales. Croirez-vous après cela que la Civilisation soit
la destinée du genre humain, ou bien que J.-J. Rousseau ait eu raison en disant
des civilisés : « Ce ne sont pas des hommes, il y a là quelque bouleversement
dont nous ne savons pas pénétrer la cause 14 .
»
L’article de Fourier a été écrit à la hâte et sur un ton qu’on
peut, pour être charitable, décrire comme exalté, mais il est animé d’une
profonde conviction : d’emblée, il suscite un débat. Quelques jours après sa
parution, un pamphlet intitulé « Conversation sur l’homme du jour » commence à
circuler dans Lyon 15 . Fourier y
est célébré comme « le commis faiseur d’harmonie », « grave penseur » et «
génie universel » doublé d’un spirituel destructeur de préjugés. L’article de
Fourier n’a toutefois pas impressionné si favorablement tous les lecteurs du
Bulletin. Par ailleurs, on s’est souvent demandé pourquoi sa publication n’a
pas suscité de réaction officielle de la part des autorités de police
responsables de la censure 16 .
Peut-être le commissaire de police de Lyon, Dubois, a-t-il considéré que
l’extravagance même des idées de Fourier et de son attaque contre la Civilisation,
« rêve affreux », rendait la chose inoffensive. En faisant brièvement allusion
à la menace de la guerre, Fourier a toutefois enfreint un des interdits du
journalisme à l’époque napoléonienne. Deux semaines plus tard, lorsqu’il publie
un article qui évoque avec plus de précision encore la guerre et la politique,
la réaction, cette fois, ne se fait pas attendre.
« Triumvirat continental et Paix perpétuelle sous trente ans »
paraît dans le Bulletin le 17 décembre 1803 17 .
D’emblée, Fourier y traite la Révolution de simple « bagatelle » au regard de
la crise qui se profile à l’horizon. « L’Europe, écrit-il, touche à une
catastrophe qui causera une guerre épouvantable, et qui se terminera par la
paix perpétuelle. » Il y a en Europe continentale quatre puissances avec qui il
faut compter : la France, la Russie, l’Autriche et la Prusse. Selon l’usage, la
plus faible des quatre, la Prusse, est certaine d’être démembrée par les trois
autres. Cela laissera trois grandes puissances en rivalité pour la domination de
l’Europe. « On sait quelle est l’issue de tout triumvirat : une dupe et deux
rivaux qui se déchirent. » Pour Fourier, « le rôle de Lépidus » sera joué par
l’Autriche que France et Russie se diviseront avant de se disputer l’empire du
monde sur son cadavre. On peut laisser de coté l’Angleterre. Celui qui
l’emporterait sur le continent s’emparerait de l’Inde et fermerait les ports de
l’Asie et de l’Europe au commerce anglais. S’il le fallait, il brûlerait de
fond en comble tout port acceptant de recevoir des marchandises anglaises.
Puissance purement commerciale, l’Angleterre
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