Fourier
d’une organisation harmonieuse de la société, mais encore de découvrir
les secrets du monde naturel - de tout expliquer, des origines des corps
célestes aux « développements les plus minutieux de la matière dans les trois
règnes [animal, végétal et minéral] ».
Balayant son article sur le triumvirat continental comme une «
bagatelle », Fourier commence sa lettre en se présentant comme rien de moins
que le successeur d’Isaac Newton. Newton a déterminé les lois de l’attraction
matérielle ; lui, Fourier, celles de l’attraction passionnée. Cette attraction
passionnée qui a échappé pendant deux mille ans aux philosophes est la « clef »
de la théorie des destinées, « l’archétype sur lequel Dieu a réglé toutes les
modifications de la matière, l’ordre du mouvement universel et du mouvement
social des humains dans tous les mondes ». La théorie des destinées peut se
diviser en trois branches principales.
1° la Théorie des Créations, c’est-à-dire la détermination
de plans adoptés par Dieu pour les modifications de la matière, depuis la
Cosmogonie des univers et des astres non aperçus jusqu’aux développements les
plus minutieux de la matière dans les trois règnes [animal, végétal et
minéral]. Les plans suivi par Dieu dans la Distribution des passions,
propriétés, formes, couleurs, saveurs, etc. aux diverses substances.
2° le mouvement social, c’est-à-dire les destinées futures
et passées des sociétés humaines dans les divers globes, leur ordonnance, leurs
révolutions, leurs caractères, etc.
3° l’immortalité ou le Destin futur et passé de Dieu et des
âmes dans les divers mondes qu’ils ont parcouru ou parcourront pendant
l’éternité 26 .
L’achèvement d’une théorie aussi immense, explique Fourier au
grand juge, est une tâche beaucoup trop complexe pour un seul homme ; aussi
s’est-il pour l’instant cantonné au calcul le plus urgent, celui du « mouvement
social » et de la « destinée sociétaire des nations industrieuses ».
Il a élaboré une théorie de l’histoire qui distingue seize
périodes ou « ordres sociaux » par lesquels toutes les parties habitées du
globe doivent un jour ou l’autre passer. Au sommet de la pyramide se trouve
l’ère de la Pleine Harmonie, un ordre social en accord avec « les plans de Dieu
», où hommes et femmes obéiront enfin librement aux commandements de leurs
passions. Le « mécanisme » de ce nouvel ordre social est trop compliqué pour
que Fourier puisse le décrire en détail ; il informe simplement le grand juge
qu’il a tout expliqué ce qui a trait à l’Harmonie - « depuis les méthodes de
[son] administration centrale jusqu’aux minuties des relations domestiques, qui
sont diamétralement opposées aux nôtres 27 ».
En ce qui concerne les autres branches de sa théorie, Fourier
s’est contenté d’établir pour chacune ses principes généraux et d’en chercher
la vérification « dans chacune des sciences fixes et même dans les arts fixes
comme la musique ». A Lyon, il n’a pas trouvé le loisir de poursuivre ses
études. Inconnu, sans ressources, il s’est résolu à partager une portion de sa
gloire future avec « les physiciens et les naturalistes », en leur concédant
l’honneur de confirmer sa théorie par leurs propres découvertes. Il revendique
simplement qu’on lui reconnaisse l’honneur d’avoir été l’inventeur de l’élément
essentiel, à savoir la théorie de l’attraction passionnée.
Fourier n’a que deux sollicitations à présenter au grand juge.
D’abord, il demande l’autorisation de faire insérer des « articles détachés »
sur sa découverte dans les journaux de Paris. Il leur laisse même la latitude
de les corriger à volonté, selon les intentions de la censure. De toute façon,
il n’a point l’intention de divulguer à la presse le fond de sa théorie. Il
entend en réserver la primeur au Premier consul et demande qu’on lui communique
sa lettre ou une copie : « Les extrêmes se touchent. Si je suis inconnu et
misérable, je m’attends à exciter la confiance du premier des hommes par
l’excès même de mon obscurité. »
Cette « Lettre au Grand Juge » ne parvint jamais à son
destinataire. Interceptée par la police lyonnaise, elle fut transmise au
ministère de la Police à Paris, accompagnée de plusieurs autres articles de
Fourier et d’une note, apparemment de la main du commissaire de police de
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