Fourier
mais chacune a un « vice » qui l’a fait échouer : « timidité » pour
la métaphysique, « petitesse » pour la politique, « absurdité » pour la
philosophie morale. Relativement simple dans sa structure, le manifeste est
toutefois rédigé dans un style polémique, sur un ton d’exhortation souvent
plein d’ironie. Fourier, tour à tour, y morigène ses lecteurs, raisonne avec
eux, les chapitres, les menaces pour avoir négligé sa découverte. Tout au long,
il dialogue avec les trois sciences incertaines et leurs représentants.
S’adressant à chaque corporation collectivement (« vous »), il souligne les
erreurs qu’elle a commises dans le passé, prévoit les objections qu’elle ne
manquera pas d’opposer à ses arguments, la conseille sur la conduite à tenir
dans l’avenir. Souvent, il interrompt ce dialogue pour se lancer dans de
longues digressions, avec de nombreuses allusions à ses propres découvertes et
aux « jouissances immenses » réservées à l’Harmonie. Il lui arrive de
développer plus systématiquement ces allusions. Le plus souvent, elles restent
vagues et fragmentaires, et Fourier ne s’y attarde que ce qu’il faut pour
établir à quel point les philosophes ont erré.
La préparation de cet Égarement de la raison a absorbé le plus
clair du temps de Fourier pendant la période 1803-1806. Pourtant, il ne le
publiera jamais. Cette déclaration de guerre contre la « philosophie civilisée
» restera une déclaration privée. En 1808, il publie en revanche une autre
œuvre d’introduction, infiniment plus ambitieuse (plus énigmatique aussi) que L
'Égarement. Il l’intitule Théorie des quatre mouvements et des destinées. On y
retrouve certains passages de L’Égarement, mais le plus gros de l’ouvrage fut
écrit en 1807*. Fourier expliquera plus tard qu’il l’avait composé à la hâte,
alors que se profilait la menace d’une loi plus stricte encore sur la censure,
telle celle qui fut promulguée en 1810.
* En 1807, peu avant la parution des Quatre Mouvements,
Fourier publie également une courte brochure intitulée Sur les charlataneries
commerciales. Dans cette brochure, il s’en prend aux pratiques des marchands
parisiens à Lyon qui ont détruit la confiance du public en vendant avec
d’importants rabais des marchandises de mauvaise qualité. Il conclut en
exhortant les négociants de Lyon à ne pas s’en laisser conter par « les
marchands de passage et les tailleurs du Palais Royal qui viennent établir
maison de commerce à Lyon ».
En 1807, je n’étais qu’à la huitième année de la découverte
; il me restait une infinité de problèmes à résoudre pour compléter un corps de
doctrine. Je ne me serais pas pressé d’entrer en scène sans quelques instances
de curieux qui me demandaient au moins un aperçu. Ils m’y engageaient par la
crainte d’une censure dont on menaçait et qui bâillonna la France dès l’année
suivante. Pour l’esquiver, je composai précipitamment cet essai 45 .
C’était une chose pour Fourier de composer un prospectus
pour vulgariser sa théorie ; c’en était une autre de lui assurer une large
audience. Peu versé dans les affaires littéraires, il décide alors de prendre
l’avis de professionnels quant à l’éventualité d’une publication.
C’est ainsi qu’en 1807, alors que son manuscrit est presque
achevé, Fourier confère avec plusieurs de ses connaissances, membres de
l’Académie de Lyon. Le conseil qui lui est donné est de trouver un protecteur,
si possible le tout-puissant critique Julien-Louis Geoffroy et de publier son
œuvre à Paris. Plus tard, dans une diatribe (restée à l’état de manuscrit)
contre le « monopole du génie exercé par la ville de Paris », Fourier devait
écrire ce résumé de ses conversations avec les académiciens de Lyon :
Les Savants . Si vous ne faites pas publier votre
ouvrage dans Paris, il ne peut pas réussir. Gniak Paris.
L’Auteur . Je n’ai pas de quoi aller m’installer dans
Paris. Je vis à Lyon de mon humble travail, que je perdrais en me déplaçant.
Les Savants . Ah, tant pis ! Paris veut le début.
Paris veut être le seul juge des nouveautés. Gniak Paris. Gniak Paris.
L’Auteur . Mais si je publie une bonne découverte qui
soit utile aux parisiens comme à d’autres, et qui les conduise à la fortune
dont ils sont si avides, ne peuvent-ils pas accepter le bienfait quoique venant
d’un profane, d’un provincial ?
Les Savants . Bah
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