Fourier
Lyon,
Dubois :
Presque chaque jour, les journaux de Lyon contiennent
quelque folie signée Fourrier. Aujourd’hui, il se moque de ceux qui ont eu la
bêtise de se plaindre de son article du Triumvirat, dénoncé par les
commissaires du gouvernement. Ne conviendrait-il point de faire défendre aux
journaux d’insérer aucun article politique de cet individu 28 ?
En marge de cette note un fonctionnaire du Bureau des journaux
du ministère de la Police à Paris a ajouté : « On a répondu au commissaire de
veiller à ce qu’on n’insère rien d’inconvenant dans le journal. Ci-joint un
autre brevet de folie que ce Fourier a adressé au Grand Juge. »
Cette directive de la police de Paris ne met pas immédiatement
fin à l’active collaboration de Fourier au Bulletin de Lyon. Dans les premières
semaines de 1804, il y publie encore deux autres articles. Aucun des deux
toutefois n’a trait à la politique, et ce furent là ses deux ultimes contributions
signées à ce journal 29 .
La carrière de journaliste de Fourier avait duré à peine deux
mois, mais il devait rester en contact quotidien avec le rédacteur en chef du
Bulletin, Jean-Baptiste Dumas, pendant les quelques années à venir 30 . Longtemps, il continue, semble-t-il, à
soumettre, en vue de publication, des articles dont le sujet va de
l'embellissement de Lyon à la question des droits civiques des Juifs 31 . Aucun ne fut publié. Fourier réussit
toutefois à se faire à nouveau imprimer entre 1805 et 1807, avec un poème et
quelques articles anonymes sur le théâtre 32 .
Des trois articles que j’ai pu identifier, deux sont des papiers sans grande
importance où il s’en prend à « H.T. », critique dramatique attitré du
Bulletin, pour la sévérité dont il a fait preuve à l’égard de la jeune
tragédienne Joanny 33 , Plus
intéressant est le premier, un long article qui se lamente sur « l’éclipse » du
théâtre classique dans les provinces et appelle le gouvernement à ouvrir des
écoles de théâtre et d’opéra dans les grandes villes de province afin d’éduquer
le goût populaire 34 . On retrouvera
les idées esquissées dans cet article sur la fonction sociale du théâtre et sur
les dangers du monopole culturel exercé par Paris élaborées en termes presque
identiques dans son premier livre 35 .
Entre temps, toutefois, Fourier s’est mis à la recherche de quelque nouveau
moyen d’éveiller ses contemporains du « rêve affreux » qu’est la Civilisation.
IV
Pendant quelques semaines, à la fin de 1803, Fourier a été la
coqueluche de la ville - le « commis faiseur d’harmonie », célébré dans le
Bulletin de Lyon comme un « grave penseur », un « génie universel » et brocardé
dans le Journal comme un candidat à Charenton. En soi, cette notoriété n’était
pas faite pour lui déplaire. Il se peut aussi qu’il ait brièvement considéré le
Bulletin de Lyon comme un tremplin pour faire connaître sa théorie au grand
public. L’orage suscité par la publication du « Triumvirat continental » et de
la « Lettre au Grand Juge » balaie ces espoirs. La police met fin à ses brevets
de folie et Fourier tire sa révérence aux sceptiques lyonnais en les invitant
sèchement à « réfléchir sur [son] défi ».
Passé cette brève saison de célébrité, Fourier continue
toutefois à exposer sa doctrine au public. Ses auditeurs sont des inconnus,
rencontrés par hasard dans les cafés, les diligences ou à la table des
pensions, mais aussi ses copains du « Vieux Coin », fonctionnaires comme Dumas,
ou négociants férus de belles lettres comme Henri Brun et Jean-Baptiste Gaucel.
A ces « curieux », Fourier fournit pendant ses années lyonnaises « divers
éclaircissements » sur sa théorie 36 .
Il semble avoir trouvé ses plus chaleureux admirateurs parmi les femmes. Ce
sont elles, peut-être, qui ont « tressailli d’impatience » lorsqu’il racontait
par le menu les délices de l’Harmonie et des « raffinements voluptueux que ce
nouvel ordre introduit jusque dans les travaux les plus insipides 37 ».
Peu après la parution de ses articles de journaux, Fourier
compose un certain nombre d’œuvrettes - des poèmes, des « bagatelles », de
courts essais - qu’il fait circuler dans le petit cercle de ses amis et
admirateurs. On y trouve un petit recueil de poèmes, « un galimatias de vers de
société » composé pour les « adeptes qui ont conversé avec moi 38 ». Ce manuscrit de quinze pages
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