Fourier

fonction plus critique. En trois «
démonstrations », Fourier montre les erreurs des philosophes ou, pour reprendre
son terme, leur « étourderie méthodique », à savoir l’incapacité où ils sont de
comprendre les raisons de leur propre échec, ou même de définir correctement
les problèmes qu’ils prétendent résoudre. Le ton, ici, change une fois de plus.
Après avoir évoqué pour ses « lecteurs studieux » le cours entier du «
mouvement social » de la terre, puis titillé les « voluptueux » avec des
tableaux contrastant plaisirs d’Harmonie et douleurs de la civilisation,
Fourier adopte maintenant un ton plus clinique et se concentre sur des
problèmes d’actualité. Recyclant ses brouillons pour L’Égarement de la raison,
il consacre ses deux premières démonstrations à l’échec des politiques, qui
n’ont pas su établir l’unité de l’Europe, et à celui des moralistes, avec leurs
« pitoyables » tentatives de créer, sous la Révolution et le Directoire, des
cultes religieux inventés de toutes pièces. Dans sa troisième démonstration, il
s’en prend aux spécialistes d’économie politique et analyse longuement les «
vices connus et les dangers inconnus » inhérents au système de la libre
concurrence. Un thème court à travers toute cette partie des Quatre Mouvements,
ainsi que dans l’épilogue sur le « chaos social du globe » : la civilisation
est un ordre anarchique. L’incohérence de l’organisation de son industrie et de
son agriculture, la fragmentation de ses structures politiques et
administratives, la diversité et le caractère contradictoire des ses
philosophies, la « confusion amoureuse » créés par ses codes moraux répressifs
sont autant de manifestations de la même maladie, du même manque d’« unité ».
    Un tel résumé peut indiquer vaguement « de quoi parle » la
Théorie des quatre mouvements. Il ne saurait traduire l’impression produite par
la lecture du texte de Fourier, ou même par un simple coup d’œil à l’index.
Entre chaque grande partie, en effet, est insérée une époustouflante variété de
préambules et d'épilogues, sur des sujets comme « le délaissement de la
philosophie morale », « la proximité de la métamorphose sociale », ou « l’étourderie
méthodique ». On a du mal à discerner dans l’ouvrage un fil logique. Sans
cesse, il y est fait référence à des volumes encore à venir ou à des aspects de
la doctrine que l’auteur préfère ne pas aborder pour l’instant. Dans chaque
section, ce sont des notes et digressions, longues et apparemment gratuites,
sur toute une gamme de sujets, depuis l’éclatement de la Voie lactée jusqu’à la
décadence du théâtre français dans les provinces, en passant par la fonte de la
calotte glaciaire du pôle et la « maîtrise proportionnelle ». Le tout est de
surcroît précédé par une « Introduction », un « Discours préliminaire », un «
Argument », un « Plan », et suivi par des « Chapitres omis », un « avis aux
civilisés », plusieurs épilogues, et, en encart dépliant, un immense « Tableau
du cours du mouvement social », qui va de la « première infection des mers par
le fluide astral » jusqu’à la « mort spirituelle du globe » avec la « fin de la
nutation et de la rotation de [son] axe ».
    Que faire d’un livre sortant à ce point de l’ordinaire ? Y
a-t-il une méthode quelque part dans son obscurité ? Dans des manuscrits
ultérieurs, Fourier donnera quelques réponses à « l’énigme des Quatre
Mouvements ». C’était, dit-il, un travestissement voulu, une œuvre d’une «
bizarrerie étudiée 8 ». Ainsi, dans
son « Préambule explicatif à la première annonce », écrit plusieurs années plus
tard et intitulé « Le Sphinx sans Œdipe », il écrit : « Cet ouvrage dans lequel
j’annonçai la théorie de l’unité universelle était une espèce de parodie publiée
avant la pièce 9 . » Incapable, en
1808, de publier un exposé complet de sa théorie, il avait commencé par un «
ballon d’essai », destiné à intéresser ses lecteurs, mais aussi à les
mystifier. Il n’y a pas, dans ce livre, une « seule syllabe » qu’il désavoue,
mais le livre était néanmoins une parodie par la bizarrerie de sa composition,
par ses affectations stylistiques, par la présentation fragmentaire et «
tempestueuse » de la doctrine.
    L’objectif de Fourier aurait, à l’en croire, été double.
D’abord, il avait voulu «