Fourier
porte en
titre : « Notice pour servir d’annonce à la découverte du calcul géométrique
des destinées universelles et de l’harmonie sociale du globe humain ». Il
comprend des poésies en tout genre - sonnets, odes, rondeaux ou ballades - et
s’ouvre sur une « Épître de congé aux auteurs des sciences incertaines ». Suit
un « Sonnet ou sonnette d’avertissement aux curieux », quelques strophes à la «
cohorte indolente » des amoureux d’énigmes (avec des exemples d’énigmes et des
« applications hiéroglyphiques » tirées de sa propre théorie) et une «
Catilinaire » dans laquelle Fourier se moque tour à tour des prétentions de
chacune des « sciences incertaines » : la philosophie, la politique, l’économie
politique et la morale. Il y a des odes aux « justes » et aux « nations
infortunées », et même un « Epithalame aux jeunes femmes sur la chute prochaine
de la civilisation, de la barbarie, des sérails, du mariage, etc. » Dans une
conclusion en prose, Fourier s’explique longuement :
L’on sera surpris que dans un sujet qui semble aussi grave,
dans une annonce des lois divines qui vont renverser l’ordre civilisé, barbare
et sauvage, je me sois permis une facétie comme ce galimatias de vers de
société, mais on se tromperait si l’on croyait le calcul qui va nous occuper
aussi sérieux, aussi aride que la législation humaine. Il n’y aura de grave
dans mon sujet que l’analyse des malheurs causés par les prétentions des
sciences incertaines, et comme ces malheurs vont finir, nos vues ne doivent
porter que sur la félicité prochaine et sur les absurdités de nos sciences et
sujets prêtant plutôt à la gaieté qu’à la gravité. D’ailleurs, cette bagatelle
n’est pas une pièce à répandre ; elle est pour des adeptes qui ont conversé
avec moi. Leurs rapports m’ont attiré maintes sollicitations où l’on me demande
« au moins un petit abrégé ». En le donnant, je ne veux pas chausser le
cothurne. Je m’explique familièrement 39 .
Par le biais d’explications « familières » de ce type, Fourier
parvient à garder vivant l’intérêt que ses articles avaient provoqué. Il
fallait plus qu’une poignée de poèmes, toutefois, pour satisfaire l’attente de
ses « adeptes ». Il reçoit alors, raconta-t-il plus tard, de nombreuses lettres
lui demandant un résumé plus détaillé de sa doctrine, voire des « conseils »
sur « la conduite convenable... pour employer utilement le reste de la
civilisation 40 ». Tout cela devait
déboucher sur la publication d’un « prospectus » intitulé Théorie des quatre
mouvements. Mais l’examen des manuscrits de jeunesse montre que Fourier,
plusieurs années avant d’écrire les Quatre Mouvements (rédigé pour la majeure
partie en 1807), a déjà commencé à écrire une autre sorte d’introduction ou «
prospectus » à sa théorie. Un projet a commencé à prendre forme dans son esprit
: « disposer les esprits » à une exposition complète en publiant un manifeste
purement critique qui démontre la banqueroute totale de la philosophie et de la
science politique telles qu’elles se pratiquent en Civilisation 41 .
Pendant la période 1803-1806, Fourier consacre une grande partie
de son énergie créatrice à la composition de ce manifeste. Dans ses premiers
manuscrits, on trouve deux premières versions assez avancées, toutes deux
intitulées L’Égarement de la raison démontré par les ridicules des sciences
incertaines. L’une comme l’autre ont été achevées en 1806 42 . Également parmi ses papiers, divers
manuscrits datant des trois années précédentes. Certains ne sont que de simples
fragments, d’autres de longs traités. A quelques évidentes exceptions près, la
plupart semblent être des versions primitives du même manifeste 43 . C’est notamment le cas d’un long essai
intitulé « Petitesse de la Politique », écrit en 1803, qui correspond au second
chapitre de L’Égarement dans sa version finale 44 .
A la différence des œuvres postérieures de Fourier, L’Égarement
de la raison suit un plan clair et simple. Il se divise en trois parties, où
Fourier fait tour à tour le procès de chacune des trois « sciences incertaines
» : métaphysique, politique (y compris l’économie politique) et philosophie
morale. Fourier leur reproche de n’avoir rien fait pour le bonheur du genre
humain. Elles auraient pu y travailler, et hâter ainsi l’avènement de
l’Harmonie,
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