Fourier

! Bah ! Ce sont des systèmes. Paris
n’entend pas que les provinces jouent un rôle dans le monde savant. Gniak
Paris. Gniak Paris.
    L’Auteur . D’accord, je sais que Paris exerce en
France le monopole du génie, mais quelles mesures faut-il prendre quand on a le
malheur d’être un hélote, un paria, un provincial enfin ? Faut-il ensevelir sa
découverte parce qu’on n’a pas l’honneur d’être né à Paris ?
    Les Savants . Non, mais il faut vous faire des amis à
Paris. Gniak Paris. Avez-vous M. Geoffroy dans vos intérêts ?
    L’Auteur . Je ne peux pas y songer. Je n’ai pas la
clé d’or à ma disposition.
    Les Savants . Ah, si vous n’avez pas pour vous
Geoffroy, vous serez mal vu dans Paris. Gniak Paris.
    L’Auteur . Eh, comment faire? Je n’ose pas me
présenter chez Geoffroy et consorts sans le rameau d’or à la main...
    Les Savants . Alors votre livre aura bien de la peine
à paraître. Il faut absolument vous ménager des protecteurs dans Paris. Gniak
Paris 46 .
    Fourier ne se trouva pas de « protecteurs à Paris ». Lorsque les Quatre Mouvements paraissent finalement, en avril 1808, c’est à
l’enseigne d’un imprimeur lyonnais du nom de Mathieu Rusand, spécialisé dans
les livres de théologie.

CHAPITRE VI
« La parodie avant la pièce »
    Lorsque Fourier livre le manuscrit de la Théorie des quatre
mouvements et des destinées générales à son imprimeur, le bon monsieur
Rusand exprime une certaine stupéfaction. Fourier le rassure : « Le titre vous
paraît étrange. Il faut que cela soit ainsi. Vous en saurez quelque jour la
cause 1 . » Réaction similaire de
son libraire parisien : Fourier se contente cette fois de répondre que le titre
de l’ouvrage (comme d’ailleurs son contenu) est une « énigme » qu’il expliquera
le moment venu 2 . Une énigme :
c’est bien l’impression que l’ouvrage a dû faire aux rares contemporains qui
l’ont lu. L’ouvrage reste le plus obscur et le plus étrange de tous ceux qu’a
écrits Fourier. Les fouriéristes des années 1840 ne l’approcheront qu’avec la
plus grande circonspection, y voyant un livre difficile que seuls des « hommes
mûrs et [des] esprits élevés » peuvent apprécier à sa juste valeur. Il n’est
pas exclu, toutefois, que le lecteur moderne y aime précisément ce qui troublait
les disciples du maître : la relative liberté dans le traitement des questions
sexuelles, l’absence apparente de système et, surtout, l’exubérance de
l’imagination.

I
    L’énigme de la Théorie des quatre mouvements commence dès
sa page de titre. Pas de nom d’auteur. Lieu de publication : Leipzig.
    Un sous-titre parle de « prospectus et annonce » d’une «
découverte » dont on ne saura rien de plus. Ce n’est là, prévient d’entrée de
jeu Fourier, que le premier volume d’une introduction qui en comportera deux ;
aussi offrira-t-il seulement quelques « aperçus » de sa théorie. Le second «
prospectus » sera une « extension » du premier, mais le choix des sujets qu’on
y traitera sera fonction des commentaires que les lecteurs auront bien voulu
faire sur celui-ci. Se présentant comme un homme « étranger à l’art d’écrire »,
Fourier fait d’ailleurs appel à l’aide des mêmes lecteurs sur les questions de
style et de nomenclature.
    On trouvera dans le cours de l’ouvrage et des notes
subséquentes divers tableaux dont la nomenclature pourra sembler impropre et
mal choisie, car je possède fort peu la langue française. Il faudra donc
s’attacher aux idées plus qu’aux mots, sur le choix desquels j’avoue mon
insuffisance. A cet égard, j’adopterai des nomenclatures plus correctes quand
elles me seront communiquées 3 .
    L’auteur, qui donne pour toute identité « Charles, à Lyon » à la
fin du livre, annonce qu’il ne se lancera dans la publication de son traité
théorique complet en six volumes que lorsque les deux volumes préliminaires lui
auront apporté au moins mille souscripteurs.
    Fourier a divisé son livre en trois parties. Chacune est censée
viser un type différent de lecteur. La première - et la « plus difficile » -
s’adresse aux « hommes studieux qui ne craindront pas de surmonter quelques
obstacles pour pénétrer de profonds mystères ». Cette première partie a beau
porter le titre prometteur d’ « Exposition », elle ne jette que peu de lumière
sur les éléments fondamentaux de la doctrine de Fourier, à savoir sa théorie de
l’attraction