Fourier

cesse cité dans les manuscrits comme un exemple typique de l’art de la
flagornerie si caractéristique des philosophes, pour qui il n’y a qu’un seul
devoir, celui de flatter, et de « distribuer de l’encens à tort et à travers »,
ainsi que de la totale vanité de leur promesse de « dévoiler l’univers ». Voir
OC X, PM (1851), 38-45 ; La Phalange, IV (1846), 309 ; La Phalange, VIII
(1848), 349 ; AN 10AS 13 (32) ; 10AS 10 (8), pp. 6-8 ; 10AS 16 (42) : lettre du
1er décembre au Journal des débats pour protester contre la parution d’une
critique favorable au Système de l’explication universelle d’Azaïs.
    Les commentaires de Fourier sur l’onction d’Azaïs ne sont
pas sans fondement. Le personnage était patelin et, dans les années 1830, on le
verra faire du prosélytisme parmi les disciples de Fourier. Un de ces
disciples, Brémond, essaya même d’arranger une « confrontation » entre les deux
hommes. Heureusement pour l’un et pour l’autre, cette rencontre ne se fit pas.
Voir Azaïs à Jules Chevalier, 4 mai 1833, bibliothèque de l’Arsenal, MS. 13462,
7 ; Brémond à Reydor, 13 janvier 1836, AN 10AS 36 (9).
    Sur Azaïs, voir Michel Baude, P.H. Azaïs, témoin de son
temps. D’après son journal inédit (1811-1844), 2 vol., Lille-Paris, 1980, et J.
Guadet, « Notice sur Azaïs » dans Des compensations dans les destinées
humaines, 5e édition (Paris, 1846), i-xlviii.
    Fourier conclut sa « réponse à Philoharmonicos » en promettant
de reprendre ses publications en 1812 avec « un volume qui contiendra le traité
de la mécanique passionnée » ainsi que « de piquants détails sur les intrigues
et les révolutions passées et futures des planètes et comètes 43 ». Le volume ne paraîtra jamais. En 1813,
toutefois, Fourier fait encore un effort pour réveiller ses contemporains.
L’université d’Aberdeen, en Ecosse, offre un prix pour le meilleur « discours
tendant à prouver l’existence d’un Dieu bon et juste ». Fourier écrit donc au
maire et aux autorités universitaires d’Aberdeen pour annoncer son intention
d’« entrer en lice à titre de continuateur de Newton ». Sa démonstration sera
fondée, dit-il « sur une détermination du système entier des lois du mouvement
[de Dieu] dont Newton n’avait dévoilé que la quatrième classe ». Ne doutant pas
que le prix dût lui revenir, il assure ses juges qu’ils ne doivent pas craindre
de l’accorder à un Français. Sa théorie sera en effet « aussi utile aux Anglais
qu’aux autres nations », et le montant du prix servira à financer la
publication d’un traité luxueux, « avec des planches 44 ».
    L’université d’Aberdeen laisse cette lettre sans réponse.
Fourier avait préparé un « Discours sur les attributs de Dieu ». Il ne l’envoie
pas 45 . Après tout, il y a des
plagiaires en Ecosse comme en France : il semble avoir craint qu’en l’absence
d’une invitation officielle de la part du jury écossais on puisse lui voler sa
découverte. Une fois de plus, donc, il abandonne la civilisation à son triste
sort. Mais à contre-cœur. Pendant deux ans, on le voit grommeler et s’en
prendre à la « basse jalousie » et à la « sordide avarice » d’une nation qui
rechigne à donner douze cents livres à un étranger alors qu’elle est en train
de dérober des millions en Inde 46 .

IV
    Fourier ne devient pas un « cas » psychologique du jour où les
Quatre Mouvements font un fiasco. Dès le début de sa carrière, il a eu,
semble-t-il, cette obsession du plagiat. Dès ses premiers écrits on trouve des
fantasmes d’une violence qui va parfois jusqu’au sadisme, où il se voit
triompher finalement de ses contempteurs. Cette tendance s’aggrave néanmoins
dans les années qui suivent la publication des Quatre Mouvements, années qui
constituent une étape cruciale dans son évolution psychologique. C’est alors
que ses fantasmes comme la rationalisation après coup - qui lui ont servi
d’armure pour se protéger contre ses malheurs personnels aussi bien que contre
les lazzi de la critique - se fixent dans leur forme définitive : cette armure
va lui servir le restant de ses jours face à un monde qui ne veut rien savoir
de sa découverte.
    La période entre 1809 et 1815 marque donc une étape importante
dans l’évolution psychologique de Fourier. Elle est de moindre importance pour
son évolution intellectuelle. Ces années marquent en effet une sorte d’hiatus
dans le développement