Fourier
mais
très constant et très honnête homme. Trop désintéressé, il a le travail facile 59 .
Fourier ne fut pas nommé adjoint au maire sous les Cent-Jours.
En dépit de ce que prétendirent plus tard ses disciples, il ne fut pas non plus
nommé à un poste à la préfecture du Rhône par son homonyme, l’éminent
mathématicien Jean-Baptiste Fourier 60 .
Il semble bien, en revanche qu’il ait occupé un emploi subalterne à la mairie
de Lyon, comme employé de l’état civil 61 qu’il dut sans doute à ses contacts personnels. Jean-Baptiste Gaucel, son vieil
ami, devenu prospère marchand de draps, avait en effet été nommé adjoint. Quant
au maire lui-même, il n’était autre qu’Antoine-Gabriel Jars, le promoteur du
concours d’énigmes qui, douze ans plus tôt, avait permis à Fourier de faire une
entrée remarquée dans les pages du Bulletin de Lyon 62 .
La réaction de Fourier aux événements de 1814-1815 fut moins
spectaculaire que celle d’autres utopistes comme Robert Owen ou Henri
Saint-Simon. On ne le voit pas rédiger de sa plume un appel aux souverains
assemblés au Congrès de Vienne. Il ne cherche pas à redéfinir sa mission à la
lumière du nouvel ordre européen. Les commentaires qu’il note dans ses
manuscrits sur les événements sont empreints d’ironie et de détachement.
L’opportunisme politique de ces « girouettes » que sont les philosophes de
Paris lui confirme ce qu’il sait depuis longtemps. En faisant sans vergogne
leur cour à un maître puis à un autre, ils n’ont fait que trahir leur nature
profonde. Ce ne sont rien d’autre qu’une bande d’intrigants serviles, que
Napoléon a eu bien raison de mépriser 63 .
D’un plus grand intérêt sont les réflexions que, sous la
première Restauration, Fourier consacre au « trépassé politique » qu’il avait
célébré comme un « nouvel Hercule » dans les Quatre Mouvements. Il veut montrer
le parti qu’« aurait pu tirer » de lui la nation française, « si elle n’eût été
asservie aux sophismes des philosophes parisiens 64 ». Fondamentalement, Napoléon était un « unitéiste». Comme
tous les représentants de ce type passionnel assez peu répandu, il était
incapable de médiocrité, dans le mal comme dans le bien. Les « unitéistes »,
dit Fourier, ont des « inclinations magnanimes ». Leur profond mépris pour
l’espèce humaine les porte à se distinguer par les « vertus sociales » dont
elle est dépourvue.
Mais qu’un tel caractère rencontre un obstacle qui entrave son
développement, et celui-ci prend un cours « inverse », ou « subversif ». Les «
unitéistes » peuvent alors « devenir les plus méchants des hommes, sans cesser
pour cela d’embrasser dans leur plan le bonheur de l’humanité entière ». C’est
ce qui s’est passé pour Napoléon. De bonne heure, il a manifesté un salutaire
mépris pour ses frères humains. Bien avant de monter sur le trône, il a déjà
élaboré un brillant « plan d’unité » : « la conquête et l’organisation
régulière du globe ». Mais, contrecarré dans son ambition, son caractère a connu
une évolution « inverse ». Son plan n’a finalement servi qu’à « rendre
l’humanité excessivement malheureuse ». Serait-il parvenu à imposer sa volonté
à l’humanité, les « beaux germes de magnanimité » que recelait son caractère »
n’auraient pas manqué de s’épanouir :
Une fois parvenu à l’Unité (qu’il a manquée de très peu),
Napoléon aurait subitement changé de méthode administrative et aurait, pour
soutenir l’Unité, assuré aux peuples autant de repos qu’il leur avait causé de
torture 65 .
Ainsi, la conquête universelle aurait ouvert la voie à
l’Harmonie.
Rien de radicalement neuf dans ces vues. Dès 1803, Fourier
soutenait déjà qu’une monarchie universelle - sous Napoléon ou Alexandre 1er -
créerait un climat de paix et d’« unité » propice à l'établissement d’Harmonie.
Il avait fait directement appel à Napoléon dans sa « Lettre au Grand Juge » et
dans la Théorie des quatre mouvements. Jusqu’à la fin des ses jours, il
continuera à voir dans la « contrainte » une des « issues » possibles pour
sortir de la civilisation. Avec le retour sur le trône des monarques plutôt
falots de la Restauration puis de la monarchie de Juillet, c’est souvent qu’il
jettera un regard nostalgique sur l’époque où un « unitéiste » menait les
destinées de la France 66 .
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