Fourier
réflexions sur Napoléon étaient un exercice ou une diversion
dont Fourier était coutumier. Leur importance reste limitée comparée à la
découverte théorique qu’il fait vers la même époque : alors qu’il travaille, de
manière assez décousue, à des « problèmes accessoires », il tombe, par hasard
semble-t-il, sur la « clef » d’un problème théorique majeur qui était resté
pour lui un mystère en 1808. Il a daté avec précision sa découverte : « Le 17
novembre 1814, j’ai atteint le calcul pivotal, celui du clavier général de création
qui complète ma théorie 67 ». Dans
un autre passage, il caractérise sa découverte en ces termes :
Je n’ai résolu qu’en novembre 1814 ce brillant problème
[...] du clavier général de création ou des dispositions que Dieu arrête en
système avant d’opérer les créations d’un univers, d’un tourbillon, d’un globe,
et de leurs produits en tout règne [animal, végétal, minéral] 68 .
Comme chacune des percées qui ont scandé la carrière
intellectuelle de Fourier, celle-ci reste entourée d’un certain mystère. Sa trouvaille
consiste, semble-t-il, en une formule lui permettant d’avoir désormais recours
aux mathématiques plutôt qu’à l’intuition pour mettre en évidence le système
cohérent d’analogies qui relie aux phénomènes du monde naturel le jeu des
passions humaines. Il a découvert en d’autres termes un moyen de prouver, du
moins à ses propres yeux, ce qu’il avançait dans les Quatre Mouvements, à
savoir que « TOUT, depuis les atomes jusqu’aux astres, forme tableau des
propriétés des passions humaines 69 ».
Le compte rendu le plus complet laissé par Fourier sur sa
découverte de novembre 1814 et sa signification se trouve dans un manuscrit où
il dit que cette découverte lui a fourni la « clef » de la « théorie d’analogie
universelle, ou application du système passionnel à toute la nature créée dont
il est le type ». Il poursuit :
Jusque là, mes essais d’application en cosmogonie et
anatomie et autres genres étaient vagues et tâtonnés. Mon instinct pour ces
calculs me guidait à peu près. Mes fautes n’étaient pas graves : par exemple,
je ne spéculais que sur les quatre mouvements et oubliais l’aromal ; je
confondais le passionnel avec les autres dont il est le pivot. C’étaient des
erreurs de détail : le fonds n’était pas moins bon et je savais déjà comme
aujourd’hui qu’un tourbillon passionnel se compose de 810 caractères. J’en
devinais d’instinct certaines distributions, comme celle d’apparat en 16 chœurs
et 32 demi chœurs. Maintenant, je marche d’un pas sûr. Mes progrès sont lents,
difficiles, mais toute solution qu’ils donnent est certaine 70 .
Fourier ne donna jamais plus amples précisions sur sa découverte
de 1814, pas plus qu’il ne spécifia le cheminement intellectuel qui l’y avait
mené. Ses rares commentaires concernant le clavier général de la création
laissent penser qu’il y est parvenu par accident. Mais il ne laisse aucun
doute, par contre, sur l’importance de ce « calcul pivotal... qui complète [sa]
théorie ». Plus tard, il la décrit comme la seconde (par ordre d’importance)
découverte qu’il ait jamais faite, à classer tout de suite après la découverte
de 1799. En lui donnant un aperçu sur d’autres mystères, notamment l’existence
d’un mouvement « aromal » jusqu’alors inconnu, ce « succès inespéré » a ravivé
son intérêt pour l’élaboration d’un traité doctrinal complet. Avec « la
stagnation industrielle causée par les événements de 1814 et 1815 », elle a
aussi aidé à précipiter sa décision de quitter le commerce et de se retirer à
la campagne « pour [se] livrer exclusivement à [sa] découverte 71 ».
Fin 1815, Fourier quitte Lyon définitivement et part pour le
Bugey s’installer dans le village de Talissieu, chez les enfants de sa sœur
Mariette de Rubat. Parmi les manuscrits qu’il emporte avec lui figure le « plan
» en trente-deux parties d’un immense ouvrage de doctrine 72 . Pendant les cinq ans qu’il va passer
dans le Bugey, il travaillera à la préparation d’un Grand Traité d’une ambition
encore beaucoup plus vaste que celui qu’il avait « annoncé » en 1808.
CHAPITRE VII
« Les vertueuses campagnes »
Les cinq ans que Fourier passe dans le Bugey constituent la
période la plus productive de sa vie intellectuelle 1 . Lorsqu’il part pour
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