Fourier

de Lyon de fournir vivre et couvert à l’armée
d’occupation 52 . Fourier critiquera
l’attitude des autorités municipales lyonnaises pendant cette occupation, y
voyant un exemple frappant de « la persécution du pauvre ». Des petits
propriétaires se virent obligés d’héberger dans leur modeste maison jusqu’à
huit soldats à la fois, alors que les autorités municipales n’envoyaient jamais
aux riches plus d’un seul officier, qui « mangeait à leur table et ne leur
causait ni embarras ni dépense ni vermine ». Ses propres amis, sa propriétaire
furent-ils particulièrement victimes de cet état de choses? Quoi qu’il en soit,
Fourier y insiste beaucoup :
    Toute réclamation était vaine. La municipalité et les
commissaires du quartier surchargeaient [le pauvre], sous prétexte que la
petite bourgeoisie était nombreuse, et que les nobles étant en petit nombre, le
privilège, l’immunité qu’on leur accorde est un peu vexatoire. Tel est l’esprit
de tous les corps municipaux ; cajolés par les grands propriétaires, ils font
tout pour le riche aux dépens du pauvre 53 .
    L’occupation autrichienne prit fin le 9 juin 1814. Un mois plus
tard, Fourier est à nouveau sur les routes comme commis voyageur. Il vend des
chapeaux de paille et des bas de soie pour le compte de l’associé de Bousquet,
Frédéric Fournier, à la foire de Beaucaire en juin 54 . En raison de la guerre, les affaires stagnent.
    Pourtant, en septembre, un nouveau voyage d’affaires le conduit
juqu’à Naples : le dernier, semble-t-il, de ses longs voyages 55 .
    En surface, la vie de Fourier pendant les grands événements de
1814 et 1815 reste calme, à un incident près : il a en effet une nouvelle fois
maille à partir avec les autorités, un peu comme en 1803, lors de
l’interception de sa lettre au grand juge. L’occasion est une nouvelle
tentative pour entrer en contact avec Napoléon. Le 14 juin 1814, peu après la
restauration de la monarchie des Bourbons en France et l’exil de Napoléon à
l’île d’Elbe, Fourier écrit au général Bertrand, compagnon de Napoléon dans son
exil, pour lui faire part de son désir de communiquer à l’empereur déchu « une
découverte qui lui rendrait beaucoup plus qu’il n’a perdu 56 ». La lettre est interceptée et transmise
au comte Beugnot, directeur général de la police, qui ordonne l’arrestation de
Fourier et la saisie de ses papiers. Fourier est amené devant le préfet du
Rhône pour interrogatoire. Mais, rapidement, le préfet décide que Fourier ne
représente pas une menace pour la monarchie restaurée. Beugnot l’indique dans
un rapport à Louis XVIII :
    Le préfet du Rhône s’est convaincu que ce Fourrier est un
visionnaire, un fou très innocent, de qui l’on n’a rien à craindre, du reste
homme paisible et honnête, qui assure de bonne foi que « Dieu lui a révélé le
véritable état social », et qui voudrait recourir à Bonaparte pour faire
l’application de sa théorie dans l’île d’Elbe. Son interrogatoire, dont j’ai
l’honneur de joindre ici une copie, est d’un genre d’extravagance assez curieux
pour que le Roi daigne peut-être y jeter un coup d’œil 57 .
    Comme la police de Napoléon en 1803, la police de la première
Restauration ne voit rien d’autre en Fourier qu’un excentrique inoffensif. Il
est promptement libéré, mais restera quand même sous surveillance pendant tout
le reste de la première Restauration.
    Il se peut que Fourier se soit trouvé dans l’immense foule qui
se rassemble aux environs de Lyon, le 11 mars 1815, pour saluer Napoléon à son
retour de l’île d’Elbe. Ce qui est certain, c’est que ses démêlés avec les
autorités de la Restauration lui ont donné, localement, une réputation de
sympathisant bonapartiste 58 . Sans
doute est-ce cette réputation qui lui vaut de voir son nom inscrit sur la liste
de citoyens « sages, fermes et modestes », envoyée anonymement au nouveau
ministre de l’Intérieur, Lazare Carnot, en avril, peu après le retour de
Napoléon au pouvoir. Proposant la nomination de Fourier comme adjoint au maire
de Lyon, le correspondant anonyme le décrit en ces termes :
    M. Fourrier, place du Plâtre, garçon, mais tout entier
dévoué au système régénérateur, il faut qu’il soit employé pour faire connaître
ses moyens ; c’est un homme plein d’érudition, parlant de tout avec
connaissance, point pédant, surtout profond géographe, un peu bizarre,