Fourier
graves problèmes de santé lui ont fait apparaître de plus en plus vaines les
consolations offertes par la philosophie comme par la littérature. En 1814, il
traverse une crise spirituelle qu’il racontera vingt ans plus tard sous le
pseudonyme de Virtomnius (anagramme de Just Muiron).
Ses longues lectures avaient quelquefois contenté son
esprit, presque jamais son cœur. En vain il avait cherché en elles une
satisfaisante définition du bonheur, de suffisantes indications sur les causes
du mal et son origine, [les théories de l’époque] n’offrant, au gré de
Virtomnius, que des fragments disséminés, sans coordonance entr’eux, mais
constituant, par leur savante complication, l’incohérence universelle, il
sentait, en 1814, qu’escorté du glacial scepticisme, un dégoût mortel
commençait à gagner son âme. La vie lui devenait à charge. En quelques mois il
en eût vu le terme, si de nouvelles études n’étaient venues lui rendre
l'espérance et la foi 13 .
C’est finalement en ayant recours au magnétisme animal que
Muiron se guérit de ses maux chroniques (à l’exception toutefois de la surdité)
et se rétablit moralement. Cette guérison l’amène à étudier les écrits
théoriques de Mesmer, Puységur et Lavater, en qui il trouve ses « premiers
indices des vraies lois de l’humanité dans la vie naturelle, spécialement sous
les rapports physiologiques et psychologiques ». De là, il passe aux
théosophes, à Mme Guyon, Swedenborg, Saint-Martin, Fabre d’Olivet - « sublimes
penseurs, qualifiés d’illuminés par les esprits bornés et froids qui ne les
comprennent point ». Tous ces écrits restaient cependant trop dans
l’abstraction ; il y manquait quelque chose :
Ils se taisaient sur l’efficace moyen de réaliser leurs
plans, d’effectuer leurs conceptions en les faisant passer de puissance en acte 14 .
C’est à ce stade de son itinéraire spirituel que Muiron tombe
sur les Quatre Mouvements. Comme à Félix Bernard, ce livre lui semble «
parachever » les théories des théosophes, la dimension inédite apportée par
Fourier tenant précisément au souci qu’il porte à la « réalisation » de son
plan, à la transition de « la puissance » à « l’acte ».
En lisant les Quatre Mouvements, Muiron commence à percevoir l’ordre
caché de ses lectures passées. Il y trouve une certitude qui lui avait
jusqu’alors échappé :
Tout ce qu’il avait lu, étudié, appris depuis quinze ans...
tout le chaos philosophique amassé dans son esprit, frappé du trait de lumière
qu’il n’osait espérer, se débrouilla comme par enchantement. Le doute s’enfuit
: Virtomnius se rendit suffisante raison du mal et de l’erreur. Il sentit qu’il
allait connaître tout le principe et la fin 15 .
Muiron s’empresse de parler de l’ouvrage à ses amis. Il découvre
alors que son enthousiasme est loin d’être universellement partagé. Certains,
tel Weiss, n’ont pas réussi à aller plus loin que le titre. D’autres, parmi eux
des « personnes remarquables par l’âge et l’expérience », ont feuilleté
l’ouvrage, qui les a plongés dans la plus grande perplexité. Quelques-uns
n’hésitent pas à taxer l’auteur de « démence ». Bref, les réactions vont de la
franche hostilité à l’indifférence perplexe. Quelques exceptions, quand même :
Raymond, déjà cité, et un ami de Muiron, Désiré-Adrien Gréa, fils d’un riche
propriétaire terrien du Jura et, tout comme Muiron, adepte du magnétisme animal
et de la théosophie. Il se trouve que Gréa a déjà entendu parler des Quatre
Mouvements : son père en possède un exemplaire. A l’instigation de Muiron, il
lit l’ouvrage, qui l’intrigue. Jamais Gréa ne parviendra à manifester pour la
doctrine le même zèle que son ami Muiron. Plus tard, devenu député, il sera
néanmoins un des alliés les plus influents du mouvement fouriériste *.
* Désiré-Adrien Gréa (1787-1863) succéda à l’oncle de sa
femme, Jean-Emmanuel Jobez, comme député du Doubs en 1828 et occupa un siège à
la Chambre jusqu’en 1834. Il siégea aussi, très à la droite de son cousin
Victor Considerant, à l’Assemblée constituante de 1848. Son enthousiasme pour
la théorie de l’attraction passionnée resta toujours plus que modéré, mais il
aida néanmoins Muiron à obtenir des prêts pour la publication des œuvres de
Fourier. Lors de la campagne électorale de 1831, il eut à essuyer des attaques
comme
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