Fourier
le dos à leur belle, elle s’en mordra les doigts et
verra d’un autre œil l’épisode de Talissieu. « Elle aura trente ans de vieillesse
pour réfléchir sur cette sottise dont j’ai de mon côté sujet de m’applaudir. »
Dans ces fantasmes de triomphe et de revanche, Fourier trouve le
stimulus - « l’illusion » - qu’il a vainement cherché auprès de sa nièce. Il
avance rapidement, écrit les dernières sections de la première moitié. En
février 1819, il aborde la seconde partie. D’ici quelques semaines, il va faire
une découverte qui va à nouveau le faire changer de plans et amener à la
publication d’une tout autre sorte de traité. Pour le moment, il a trouvé un
nouveau « talisman », en la personne de Just Muiron. Ce « Geoffroy » n’est
peut-être pas si doué qu’Hortense, ni si expert en affaires galantes, mais il
va néanmoins devenir le premier vrai disciple de Fourier.
CHAPITRE VIII
Le premier disciple
Pendant ses années lyonnaises, Fourier était parvenu à susciter
un certain intérêt pour sa théorie parmi un petit cercle d’amis et admirateurs.
C’est en réponse à une personne de ce cercle, une certaine Amélie F. (dont on
ne sait rien de plus), qu’il fait, dans le Bulletin de Lyon, la première
annonce publique de sa découverte.
Il compose aussi des annonces en vers légers, qu’il fait
circuler en privé parmi « des adeptes qui ont conversé avec moi ». Les Quatre
Mouvements furent d’ailleurs écrits, dit-il, en partie pour satisfaire «
quelques curieux » devant qui il avait déjà évoqué oralement les merveilles de
l’Harmonie 1 . Parmi ce premier
cercle de sympathisants, on trouve des notables et des figures de la vie
intellectuelle lyonnaise, tels les docteurs Amard et Aimé Martin. Il y a aussi
des camarades du « Vieux Coin », comme Henri Brun et Jean-Baptiste Gaucel, et
enfin les femmes mariées avec qui il avait échangé des poésies dans le Bulletin
de Lyon.
Dans ce groupe assez hétérogène, peu méritent à proprement
parler le qualificatif de disciples. Jean-Baptiste Dumas est sans doute
représentatif lors qu’il exprime manifestement plus de souci pour la prospérité
personnelle de Fourier que pour son « fameux système ». Et, au plus fort de son
enthousiasme pour Fourier, Amélie F. est capable de lui lancer : « Vous êtes
fou : mais vous êtes aimable. » En dépit des réserves des uns et des autres, la
publication des Quatre Mouvements semble avoir suscité à Lyon une certaine
vague d’excitation. En mai 1808, Henri Brun écrit à Fourier que « toutes les
dames de Lyon en raffolent ». Dans les milieux d’affaires fréquentés par
Fourier, son analyse des tendances et des vices cachés du commerce fit,
semble-t-il, impression. Et, plus de trois ans plus tard, on verra encore le docteur
Aimé Martin juger utile de rappeler aux lecteurs du Journal de Lyon les « vues
neuves et des conceptions hardies » contenues dans le « prospectus » de Fourier 2 .
L’objectif principal de Fourier quand il publie les Quatre
Mouvements est toutefois de dépasser ce petit cercle et de faire connaître sa
découverte au vaste monde. Sur ce point, l’échec est total. Les comptes rendus
sont caustiques ; l’ouvrage ne se vend pas, toute la correspondance qu’il vaut
à son auteur se résume à « des sornettes décousues, des inventions triviales et
rebattues, et des envois de médecine 3 ».
Au début de la Restauration, quelques exemplaires des Quatre
Mouvements trouvent quand même des lecteurs sympathisants au-delà du cercle
restreint des amis et familiers de l’auteur. Parmi eux, Fulcrand et Benjamin
Mazel, de Montpellier, qui devaient rendre plus tard à Fourier « l’hommage du
plagiat. ». Les deux frères tombent sur le livre par hasard, dans une librairie
de Paris, en 1818. Les « extravagants » chapitres sur les origines et la
destinée future de la Terre les plongent dans une certaine perplexité. Ils
apprécient en revanche les « saines vues » de l’auteur sur le commerce et
l’association *.
* Benjamin Mazel, Théorie du mouvement social : dédiée à
toutes les chambres législatives (Paris, 1822), 3. Benjamin Mazel était avocat
à Montpellier et son frère Fulcrand négociant à Lodève. En 1822, ils publient
en commun un ouvrage intitulé Recherches sur le mécanisme social de la France
(Montpellier, 1822), où l’on trouve une « critique du monopole usuraire de la
Banque de France » comportant
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