Fourier
plusieurs pages copiées de l’épilogue des Quatre
Mouvements. Le passage n’est pas présenté comme une citation, mais il est suivi
de ce commentaire : « J’ai recueilli pour vous parler les paroles de paix
jetées au vent il y a quinze ans par un ami de l’humanité, forcé sans doute de
soustraire son nom à notre reconnaissance. Puisse le germe de cette heureuse
semence couvrir un jour sa tombe des fruits du bien qu’il a mérité. »
La Théorie du mouvement social publiée par Benjamin l’année
suivante n’est guère plus qu’un résumé assez confus de la critique de la
civilisation et de l’analyse de l’association exposée dans les Quatre
Mouvements. L’auteur y reconnaît sa dette à l’égard de l’anonyme « M. Charles »
en ces termes : « Le silence qu’il garde depuis 1808, sa mort peut-être, et le
domaine de la pensée [sic], m’autorisent, ce me semble, à présenter avec
quelque méthode une vérité qui appartient à tous, du moment qu’elle est
publiée, mais qui, par la manière dont elle a été présentée, est demeurée
inintelligible et même extravagante pour le commun des lecteurs.» Fourier eut
vent de ces ouvrages et il fit savoir aux Mazel ce qu’il pensait de leur
présentation « méthodique » de ses idées. Dans Le Phalanstère du 21 juin 1833,
il parle de Benjamin Mazel comme d’un « petit odieux plagiaire ». On se
reportera à la correspondance qui s’ensuivit entre Benjamin d’une part, Fourier
et ses disciples d’autre part, AN 10AS 40 (1) et 10AS 25 (3).
Ce type de réaction sera souvent celui de ses disciples, en
général plus gênés qu’autre chose par les spéculations cosmogoniques ou
métaphysiques de leur maître. A en juger par nos sources, elle est pourtant
relativement atypique des premiers admirateurs isolés de Fourier, qui pour la
plupart ne manifestent pas ce genre de réserves sur l’ouvrage 4 . Il faut dire qu’un bon nombre d’entre eux
se recrutent chez des amateurs éclectiques de sciences occultes, des lecteurs
de Swedenborg, Saint-Martin, Mesmer ou Fabre d’Olivet : ils ne trouvent rien
d’extravagant dans le providentialisme de Fourier, sa cosmogonie ou sa théorie
de l’analogie universelle.
D’un particulier intérêt à cet égard sont les lettres qu’en 1818
et 1819 un capitaine de l’armée adresse à Fourier, en garnison à Nantes, Félix
Bernard 5 . Se déclarant « pénétré
de l’importance et de la vérité » de la « découverte sublime » faite par
Fourier, Bernard, qui truffe ses lettres de longues citations d’auteurs
ésotériques, lui demande de considérer les « analogies frappantes » entre leurs
œuvres et la sienne. « L’existence du fluide subtil magnétique », par exemple,
ne pourrait-elle pas être conciliée, demande-t-il, avec les « lois universelles
du mouvement » qu’il a découvertes ? D’autres « savants et philosophes »,
note-t-il, ont déjà « entrevu plus ou moins clairement les erreurs de la
civilisation ». Senancour, dans ses Rêveries, a même « reconnu que les passions
tendent à l’harmonie », mais, au lieu de « procéder à l’analyse mathématique
des passions de l’homme, il s’est égaré comme les autres dans la conjecture 6 ». Fourier, au contraire, est allé au bout
de sa « découverte positive ». En s’attachant aux « moyens » et aux « méthodes
» pour « l’exposition et l’établissement d’un système social universel », il a
ajouté une nouvelle dimension aux conjectures purement abstraites et « morales
» de ses prédécesseurs 7 .
En 1819, Bernard salue en Fourier « l’homme des destins ». Il
semble qu’il soit par ailleurs entré en contact avec au moins un des autres
partisans de la première heure de Fourier, Désiré-Adrien Gréa 8 . Sa correspondance avec l’auteur des
Quatre Mouvements fut toutefois sans lendemain et on ne mentionne ici sa brève
toquade fouriériste que parce qu’elle est symptomatique d’un état d’esprit
assez répandu dans les cercles illuministes de l’époque 9 . Fourier trouve donc ses premiers lecteurs
parmi des éclectiques, qui attachent une grande importance aux « affinités » de
sa doctrine avec celle des théosophes. Bernard n’est pas le seul à voir dans sa
démarche le moyen de « parachever » leurs « conjectures abstraites et morales »
: c’est aussi le cas de Just Muiron, qui va devenir le premier vrai disciple de
Fourier et plus tard le « doyen » de l’École
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