Fourier
Comment la recherche pourra-t-elle en être faite ? Comment résoudre
les difficultés qui naissent du concours de plusieurs amants au moment de la
conception 19 ?
Fourier s’excuse souvent de son retard à répondre (« Quand j’ai
un problème en tête, j’ai l’habitude de laisser toutes les lettres en arrière
jusqu’à ce qu’il soit résolu 20 »),
mais on le sent manifestement flatté par l’intérêt que lui porte son disciple.
Il doit toutefois modérer les grands espoirs que nourrit Muiron quant à une
mise en application rapide de la théorie. Muiron - Fourier le lui fait
remarquer assez sèchement - est incapable de s’affranchir totalement de ses
vieilles habitudes de pensée, ses habitudes « civilisées ». Il prend par
exemple un certain temps à faire taire les doutes qu’il éprouve sur l’origine
du mal : Fourier doit lui rappeler à plusieurs reprises qu’« il n’est pas
question de connaître l’origine du mal, mais le remède ». Il arrive parfois au
maître de manifester une certaine impatience : « Votre zèle n’est pas bien
dirigé », lui déclare-t-il en 1818. « Vous vous arrêtez aux accessoires et vous
oubliez le principal. Vous faites valoir des broutilles de métaphysique
subtile, dont on ne peut recueillir que le scepticisme 21 . »
Parmi les divers symptômes de la fascination de Muiron pour les
« broutilles » métaphysiques, l’un a le don d’exaspérer Fourier : l’attachement
que son disciple continue à marquer pour les écrits ésotériques qui l’ont
naguère mis sur le chemin de la guérison spirituelle. D’avoir épousé la théorie
de Fourier n’a en effet pas ébranlé chez Muiron la conviction que Swedenborg,
Saint-Martin et Fabre d’Olivet ont « approché la vérité » et l’ont même «
saisie quelquefois ». Il ne cesse d’engager son nouveau maître à chercher dans
les œuvres des « vérifications » de ses propres idées. Cela n’intéresse pas le
moins du monde Fourier, qui, à l’époque, ne lit plus que les journaux. « Je ne
m’arrêterai pas à consulter les livres que vous indiquez, répond-il un jour.
J’ai essayé ces vérifications sur quelques ouvrages dont je n’ai tiré aucun
secours 22 *. »
* Dans un manuscrit datant de la même période, Fourier
écrit : « On m’a engagé à lire divers ouvrages de ces idéologues et
archéologues, entre autres ceux de Court de Gebelin {Monde primitif), Dupuis
(Origine des cultes), Saint-Martin, sur je ne sais quoi, car il ne donne aucun
titre à ses chapitres ; on espère en découvrir le sujet dans le cours de la
lecture, mais après les avoir lus on ne sait de quoi il veut traiter. Je n’ai
reconnu dans ces divers savants qu’abus de la science, jonglerie d’érudition,
manie de remplir des volumes et de faire système. » « Des transitions », La
Phalange, VI (1847), 210.
Cela n’empêche pas Muiron, pendant les premières années de leur
correspondance, de fournir sans cesse à Fourier des citations des grands
théosophes. Il admire particulièrement « la doctrine et l’érudition » de Fabre
d’Olivet, dont les commentaires sur la Bible et sur les Vers dorés de Pythagore
ont fortifié sa foi en la Divine Providence, la perfectibilité de l’homme et le
caractère foncièrement bon des passions. En 1820, il va même jusqu’à proposer
la publication d’un ouvrage où la cosmologie de Fourier serait justifiée par sa
conformité avec l’interprétation que donne Fabre d’Olivet du livre de la Genèse 23 . Fourier rejette avec humeur
cette proposition : les livres sacrés sont « des lames à deux tranchants », qui
ne peuvent que compromettre le travail d’un inventeur véritable. De toute
manière, il sait de source autorisée, pour l’avoir lu dans le Journal des
débats, que Fabre d’Olivet ne savait pas l’hébreu 24 .
Chaque fois que Muiron l’enjoint de chercher des « preuves » de
sa théorie dans les écrits des philosophes, Fourier laisse percer sa colère. Il
n’a aucun besoin d’« avilir » sa découverte en faisant appel à l’autorité des «
charlatans et jongleurs ». Il s’explique avec la plus grande clarté à son
disciple dans une lettre de 1817 :
Vous me parlez des moyens de concilier ma Théorie avec
celles de diverses sectes sans compromettre leurs doctrines, sans supposer une
rétractation de leur part... Quels sont les résultats de leurs sciences depuis
3 000 ans ? L’indigence, la fourberie, l’oppression et le carnage :
Weitere Kostenlose Bücher