Fourier
dès lors,
si je me concilie avec cette doctrine, je donnerai dans les mêmes résultats. Il
n’en sera rien 25 .
Toute sa vie, Fourier continuera à insister sur le caractère
unique de son entreprise intellectuelle, balayant le système universel de tel
ou tel philosophe comme une « plaisanterie » ou un « verbiage » stérile.
Gageons que Muiron dut être quelque peu ébranlé par de telles déclarations ;
jamais, toutefois, au point de renoncer à son penchant pour l’occulte*.
* Dans les années 1820, Muiron continua à organiser des
groupes d’étude sur les Arcana Celesta et d’inciter ses amis fouriéristes à
lire la Langue hébraïque de Fabre d’Olivet. Son ouvrage Les Nouvelles
Transactions (1832) est parsemé de citations de la traduction donnée par Fabre
d’Olivet de la Bible et du Crocodile de Saint-Martin. Voir Muiron à Clarisse
Vigoureux, 4 août 1827, AN 10AS (4), et Muiron à Fourier, 29 juin 1832, AN 10AS
4 (5).
Les deux premières années, la correspondance entre Fourier et
Muiron reste quelque peu cérémonieuse et guindée. Fourier donne du « Monsieur »
à son disciple et, s’il répond volontiers à toutes ses questions concernant des
points de doctrine, il ne souffle mot ni du mal que lui donne le traité ni de
ses démêlés avec les filles Rubat : il s’est du reste toujours montré réticent
à parler de sa vie privée. Mais à partir de février 1817, lorsque son
déménagement à Belley lui a permis de se mettre au travail sur le corpus de son
Grand Traité, il tient Muiron informé des progrès de son travail. En octobre,
il écrit : « le Traité de l’Attraction avance, quoique lentement ; je n’en suis
qu’à la 9e des 52 parties de l’ouvrage. Divers problèmes dont je désespérais
ont été résolus 26 ».
Deux mois plus tard, le traité progresse toujours « très
lentement », mais Fourier reprend courage en réfléchissant au chemin parcouru
depuis la composition des Quatre Mouvements. Après avoir quitté Lyon,
écrit-il,…
…j’ai perdu dix mois sur un faux plan qui m’avait engagé
dans un abrégé fort insuffisant. Depuis je me suis déterminé à adopter le plan
des grands développements qui m’avaient d’abord effrayé par la multitude des
problèmes à résoudre. Ce pénible travail avance peu à peu, et sur 32 parties je
suis à la 10e. J’y découvre chaque jour de nouvelles beautés, et tout s’y
rattache merveilleusement à l’Unité du système. Je peux dire à présent que la
science n’était encore qu’un embryon quand je publiai le Prospectus ; cette
Théorie, si je parviens à la mettre en bon ordre, comme je l’espère, fera
nécessairement sensation, non par la prose de l’auteur, mais par la
magnificence du sujet 27 .
Fourier a beau estimer qu’il en a encore pour deux ans de
travail, Muiron et lui commencent pourtant à évoquer la perspective d’une
publication du traité. Cela promet manifestement d’être une œuvre énorme: fin
1817, Fourier parle de quatre épais volumes ; en octobre de l’année suivante,
il a revu son estimation à la hausse et parle maintenant de sept volumes de
cinq cents pages chacun. Impatient de voir Fourier imprimé dès que possible,
Muiron l’encourage à publier le traité en plusieurs livraisons, ainsi que
Fourier l’avait lui-même envisagé dans les Quatre Mouvements. Mais sur ce point
le maître a changé d’avis. « Si l’on envoie les régiments pièce à pièce à la
bataille, ils s’y fondent sans succès », écrit-il en février 1818. Il compte
désormais tout publier en une seule fois. « La méthode (pièce à pièce) est
bonne pour les compilations, mais non pas pour une nouveauté qui doit frapper
un grand coup et présenter d’emblée tout son corps de doctrines, toutes ses
preuves. »
Jusqu’alors, la relation entre Fourier et Muiron s’est cantonnée
à l’épistolaire. Mais au printemps 1818, Muiron reçoit une lettre de Joseph
Bruand, un vieil ami de l’École centrale, sous-préfet d’Issoire : Bruand vient
d’être muté à la sous-préfecture de Belley ; Muiron voudrait-il venir
travailler quelques mois avec lui en qualité de secrétaire ? Une semaine plus
tard, une lettre de Fourier, cette fois, qui lui aussi invite Muiron à venir à
Belley. En raison de sa surdité, Muiron avait le contact personnel assez
difficile, mais, après deux ans de correspondance, vif est son désir de
rencontrer Fourier. Il accepte la double invitation : en mai 1818,
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