Francesca, Empoisonneuse à la cour des Borgia
un rituel destiné à empoisonner la source en eau potable. N’ayant aucune preuve concrète, le tribunal de l’Inquisition avait obtenu les aveux des accusés sous la pire des tortures, avant de les faire périr dans les flammes. Torquemada s’était également servi de ce soi-disant crime pour convaincre Leurs Majestés très catholiques, Ferdinand et Isabelle, de publier leur édit. À la vérité, tous les juifs d’Espagne étaient des victimes de La Guardia – sans parler de Torquemada.
— Vous devez avoir foi en Borgia, insistai-je, davantage pour moi que pour eux. Il comprend parfaitement la gravité de la situation, et fera tout ce qu’il faut pour emporter la victoire.
Y compris, songeai-je, en poussant sa fille au mariage dans une famille rivale et en accueillant ses ennemis jurés en son sein.
— Tant mieux, fit David. Il a été rétribué on ne peut plus généreusement. À lui de mériter notre argent, maintenant. (Il me fixa droit dans les yeux.) Dis-lui ça, Francesca, et assure-toi qu’il ait bien compris. Il n’accédera pas à la papauté en faisant couler notre sang. Si on tombe, il tombe avec nous.
Peut-être était-ce dû à l’infecte tisane de Sofia, qui ne m’avait pas totalement débarrassée de mes nausées ; ou bien ma mauvaise humeur était à mettre sur le compte du manque de sommeil. Toujours est-il que je lui répondis sèchement :
— C’est déjà suffisamment pénible comme ça d’être la messagère de Borgia, je ne vais pas en plus être la tienne. Dis-lui toi-même.
— Et comment suis-je censé m’y prendre ? rétorqua David. Suggères-tu que j’entre dans ses bureaux à la curie comme toi tu le peux, ou peut-être aimerait-il m’inviter à dîner à son palazzo ? Ou mieux encore, je pourrais l’inviter ici. Sofia, qu’en penses-tu ? Je suis sûr que tu saurais préparer un petit quelque chose en vitesse pour le Cardinal, non ?
— David…, commença-t-elle, mais je l’interrompis : ma patience, que je n’avais jamais eue en grande quantité, était à bout.
— Tu as dit ce que tu avais à dire, lui lançai-je. À mon tour. Quoi que tu penses de Borgia, il a raison sur ce point. Torquemada vient empêcher l’élection d’un pape qui serait bien disposé envers les juifs. Il n’aurait jamais quitté l’Espagne pour moins. La question est, vu qu’il reste si peu de temps avant le début du conclave, comment compte-t-il s’y prendre pour garantir la défaite de Borgia ?
— Tu vas nous dire qu’il a l’intention de nous inciter…, dit David.
Mais en fait, non. Toutes les pensées qui m’avaient traversé l’esprit depuis que j’avais appris l’arrivée imminente du Grand Inquisiteur revenaient au premier plan, à présent que j’avais enfin l’occasion de leur donner l’attention qu’elles méritaient.
— Mais pour quelle raison penserait-il pouvoir vous inciter à quoi que ce soit ? demandai-je. (Sans m’en rendre compte, j’avais épousé l’habitude de Borgia de poser des questions pour mieux trouver des réponses.) Les juifs se sont-ils jamais soulevés, comme vous menacez de le faire ici ?
David secoua lentement la tête.
— Il y a eu des discussions…
— Mais aucun passage à l’acte. Depuis des siècles, dans toute l’Europe, les juifs gardent la tête baissée et souffrent en silence, peu importe ce qu’on leur fait. Mais toi, tu veux changer tout ça, n’est-ce pas ? Tu veux leur montrer que tuer les juifs a un prix. C’est bien cela ?
— Tu sais bien que oui, mais…
— Je crois que je comprends ce que Francesca essaie de nous dire, interrompit Sofia. Borgia connaît nos intentions mais ils ne sont qu’une poignée, tout au mieux, dans ce cas. Jamais Torquemada n’y croirait, lui. Au vu de son expérience avec nous, s’il apprenait qu’on a l’intention de se défendre maintenant, il est fort probable qu’il éclaterait de rire.
— Alors, pourquoi est-il ici ? poursuivis-je. S’il ne cherche pas à pousser le ghetto à la révolte…
— Il cherche à soulever les chrétiens, en conclut David. Exactement comme il l’a fait à La Guardia. Le résultat sera le même. Nous ne permettrons pas que cela arrive ici.
— Mais c’est impossible, raisonna Sofia. Torquemada a mis presque deux ans pour arriver à ses fins à La Guardia. C’est le temps qu’il lui a fallu pour convaincre le tribunal de condamner ceux qu’il prétendait être coupables, et il n’y est parvenu qu’en
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