Francesca, Empoisonneuse à la cour des Borgia
de tuer mon père respirait encore.
Le Cardinal leva un sourcil interrogateur.
— Il y a quelques minutes, pourtant, tu n’as pas hésité à prendre les choses en main.
— La justice de Dieu concerne l’au-delà. Ici-bas, nous ne pouvons nous en remettre qu’à nous-mêmes.
Je me tournai vers Vittoro qui m’observait d’un air soucieux.
— Vaudrait-il mieux parler en privé, Éminence ?
Je pensais à moi, naturellement : moins l’on comptait de personnes au courant de ce que j’étais sur le point d’accepter, mieux cela valait. Mais je songeais également à Vittoro. Je ne pouvais croire qu’il voudrait prendre part d’aucune manière que ce soit à ce que le Cardinal et moi avions l’intention de faire.
De nouveau, Borgia me surprit.
— Le capitaine a toute ma confiance, dit-il en faisant signe à Vittoro de prendre place à côté de moi. C’était un geste magistral, nous mettant tous trois sur un pied d’égalité, pour ainsi dire. Nous étions pourtant loin de l’être, car derrière son vaste bureau tout en dorures et en marbre, dans la demeure somptueuse qu’il dirigeait sans le moindre effort, il ne pouvait y avoir aucun doute sur le fait que le Cardinal nous dominait tous.
Nous discutâmes jusque tard dans la nuit. Borgia insista sur ce que je savais déjà, à savoir que la mort d’Innocent devait paraître totalement naturelle. De nouveau, j’expliquai que je n’avais aucune idée de la façon dont mon père avait envisagé de s’y prendre, mais promis de faire tout mon possible pour le découvrir.
— Ne tarde pas, dit le Cardinal. Je peux soulever suffisamment de points de litige à la curie pour repousser la publication de l’édit pendant quelque temps, mais le sursis sera de courte durée.
— Avez-vous une quelconque idée du temps qu’il nous reste ? demanda Vittoro.
Jusqu’à présent, il était resté silencieux.
— La récente maladie d’Innocent a engendré une certaine urgence, répliqua Borgia. Nous avons au mieux quelques jours.
Quelques jours pour trouver le moyen de provoquer une mort qui ne soulève absolument aucune question chez les individus les plus vigilants de la chrétienté, mais aussi les plus prompts à imaginer qu’un complot se cache derrière le moindre événement, terme que l’on ne saurait appliquer à la mort d’un pape.
— Cette maladie, demandai-je, savez-vous si c’est mon père qui l’a véritablement causée ?
Borgia secoua la tête.
— Je n’en ai aucune idée, mais les soupçons d’Innocent ont dû être éveillés, sinon il n’aurait pas ordonné la mort de Giovanni.
S’il l’avait bien ordonnée. Ne me croyez pas stupide. Je sais parfaitement qu’un homme sous la torture dira tout ce que l’on veut de lui. C’est la raison pour laquelle la torture est absurde, à mon avis. Mais manifestement nous sommes une minorité à le penser, car elle est loin de se démoder.
Si je ne saurais jamais la vérité sur les raisons qui avaient poussé cet homme à dire ce qu’il avait dit, j’avais l’intime conviction que c’était bien l’un des meurtriers de mon père et l’un de mes agresseurs. Il semblait être le chaînon manquant entre ces deux événements et le pape, même si de nouveau je n’avais pas encore démêlé le vrai du faux sur ce point. Toutefois, si on y ajoutait ce que j’avais appris concernant l’édit, tout convergeait sans l’ombre d’un doute vers le Vatican. Si je voulais me lancer à la poursuite des meurtriers de mon père à un niveau aussi élevé, il me fallait l’aide de Borgia.
— Qu’il ait découvert ou non le moyen de rendre le pape malade, repris-je, mon père avait forcément réfléchi à un plan pour entrer en contact avec Innocent. Il ne pouvait croire qu’on le laisserait ainsi approcher du pape.
— C’est aussi ce que je pense, renchérit le Cardinal. Il est possible que ton père connût quelqu’un à même de l’aider – un autre converso , peut-être.
Je laissai de côté la référence au soi-disant statut de mon père pour me concentrer sur les bénéfices éventuels à tirer de ce que venait de dire Borgia. Je ne pouvais faire mine d’être surprise. Tout le monde savait (du moins, le bruit courait) que les hommes les plus résolus à passer pour des chrétiens avaient tendance à entrer dans les ordres. En d’autres termes, un prêtre incapable de prouver sa filiation sur plusieurs générations pourrait fort bien s’avérer juif en
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