Francesca la Trahison des Borgia

faisais référence aux mesures établies par le grec Ératosthène dans l’Antiquité, dont les travaux bien connus des Arabes avaient été redécouverts par nous autres Romains et confirmés à maintes reprises depuis. Grâce à lui, toute personne instruite est capable aujourd’hui de connaître la circonférence du monde. Seule une poignée d’entre eux (dont Colomb) insiste pour dire que le monde est bien plus petit et que les Indes, par conséquent, doivent pouvoir être atteintes par l’ouest.
    — S’ils sont corrects, Colomb a véritablement trouvé le Nouveau Monde.
    Je levai les yeux vers l’homme qui venait de parler. Plus petit que d’Amico, il allait sur ses trente ans et portait une moustache et une barbe soigneusement taillées. Son expression était presque enfantine, tant il respirait la curiosité innocente. Et ce malgré le fait qu’il portait l’habit noir et blanc du plus craint des ordres de la sainte Église, les dominicains.
    Frère Guillaume avait le plus grand mal à dissimuler son excitation. En prenant garde de ne pas toucher le parchemin, il longea le littoral de son doigt et en soupira de plaisir.
    — Un nouveau monde, répéta-t-il. Cela défie l’imagination. Vraiment, la Création recèle bien plus de merveilles que nos pauvres esprits sont à même d’imaginer.
    Si cela vous surprend qu’un dominicain soit membre de Lux, je vous confirme que Guillaume faisait figure d’exception chez les frères qui, comme vous le savez sûrement, ont été surnommés les « chiens du Seigneur », étant connus pour être les chasseurs assoiffés de sang de l’Inquisition. Toutefois, n’oublions pas que pour chaque amoureux du bûcher et du chevalet qu’ils ont engendré, les dominicains peuvent se targuer d’avoir dans leurs rangs des hommes tels que le grand saint Thomas d’Aquin, dont on peut dire sans trop exagérer que sur ses épaules reposent les fondations même de l’Église. De ces sommets d’intelligence aux passions enfiévrées du Grand Inquisiteur, l’ordre était tombé bien bas, ne diriez-vous pas ? Je vous en laisse juge.
    Nous nous attardâmes quelques instants de plus sur cette carte, qui continuait à exercer une fascination presque irrésistible sur nous tous, avant de passer à table. Par la force des choses nous devions être partis de la maison avant la nuit tombée, afin que chacun puisse rentrer chez soi sans trop de difficultés.
    Le dîner était, comme toujours lorsque nous nous retrouvions chez d’Amico, excellent. La conversation passa de la carte aux dernières expériences en date menées par les divers membres du groupe. Je fus en mesure de leur rendre compte des résultats que j’avais obtenus concernant la précipitation du nitrate d’argent à partir d’une solution. Je vous passerai les détails mais vous dirai tout de même qu’en toute modestie, mes compagnons trouvèrent ma présentation des plus intéressantes.
    Nous étions en train de savourer figues fraîches et oranges avec un verre d’hypocras au parfum épicé, pour clore le repas et favoriser la digestion, lorsque notre conversation fut interrompue par les aboiements des chiens, rapidement suivis par des cris.
    Des intrus !
    Je nous revois encore, tous figés autour de la table, juste avant que la signification de cet événement ne nous pousse à l’action. Luigi bondit de table, s’empara de la carte et l’enroula du mieux qu’il put en courant. Frère Guillaume fut tout aussi rapide, se précipitant pour soulever la tapisserie, qui dissimulait une porte. Quelques chaises tombèrent dans notre hâte mais hormis cela nous ne fîmes aucun bruit, au contraire des hommes dehors qui continuaient à crier (ils étaient plus proches maintenant), et des chiens qui n’en finissaient plus d’aboyer. Nous savions tous qu’une telle éventualité pouvait arriver un jour, et nous nous y étions préparés du mieux possible. Cela, ainsi que les sages précautions de Luigi, expliquent sans aucun doute notre calme apparent.
    Mais je dois avouer tout de même que mon cœur battait la chamade quand nous nous pressâmes tous dans le passage qui descendait au sous-sol de la villa. De là, une seconde porte secrète donnait accès à un tunnel froid et humide. Luigi frotta un silex pour allumer une torche, nous donnant ainsi juste assez de lumière pour voir où nous allions.
    Sofia était juste derrière moi ; sa présence me réconfortait, mais la savoir autant en danger que