Francesca la Trahison des Borgia
étaient maussades, si ce n’était franchement hostiles. J’avais été tellement accaparée ces temps derniers par la protection de Borgia que je n’avais guère prêté attention à autre chose ; je le regrettais amèrement, à présent.
Malgré ce que leurs « aînés » aimeraient croire, les modestes gens sont très attentifs à ce qu’il se passe autour d’eux ; comment pourrait-il en aller autrement alors que leur survie dépend des fantaisies passant par la tête de ceux que le destin a placés au-dessus d’eux ? Et cela est encore plus vrai des Romains, réputés pour leur sagacité. Ils savaient tout des dangers qui s’accumulaient à l’horizon. Si ce que je voyais était un échantillon représentatif de l’ensemble de la ville, les preuves d’amitié que Borgia avait reçues à son accession à la papauté avaient bel et bien fondu comme neige au soleil.
Notre escorte armée maintenait la foule à une certaine distance, mais j’en surpris tout de même plus d’un, devinant peut-être qui j’étais, qui se signa à mon passage. Grand bien leur fasse.
M’ayant accompagnée jusque dans l’enceinte du palais, Vittoro eut l’obligeance de s’arrêter au pied du grand escalier de marbre qui menait aux bureaux de Borgia, m’épargnant ainsi l’ignominie de comparaître devant Sa Sainteté flanquée de deux gardes. Et pourtant j’admets que pour déplaisant que cela aurait été, je n’aurais pas dédaigné avoir un bras fort sur lequel m’appuyer pour monter les marches.
Les occupants de la curie n’étaient pas davantage immunisés contre le charme des commérages qu’une poissonnière d’Ostie, et mon arrivée ne passa pas inaperçue. Un par un ils firent silence tout en m’observant avec divers degrés de plaisir malsain et d’hostilité, ce qui me fit songer qu’ils ne devaient pas parier cher sur mon avenir au sein de la maison des Borgia. En bonne Romaine que je suis, j’eus le temps de regretter de ne pas avoir pu miser sur mon sort avant d’avoir à l’affronter.
Seul un visage amical m’attendait en haut, et même lui était aux aguets.
— Donna Francesca, s’écria Renaldo en se précipitant vers moi. Dieu soit loué, vous êtes vivante.
— Pour l’instant. Comment va Sa Sainteté ?
Renaldo fit la grimace.
— Je l’ai rarement vue ainsi. Signore César est revenu de… Mais je suis bien certain que vous savez où il était parti.
L’idée que l’exil siennois de César soit enfin terminé me remonta le moral. En d’autres circonstances, je n’aurais songé à rien d’autre que le moment où je serais enfin réunie avec mon amant ténébreux. Malheureusement j’avais d’autres priorités, pour l’instant.
Renaldo s’approcha de moi. Dans le creux de mon oreille, il me confia :
— Ils se disputent, et c’est encore pire que d’habitude. Je crains qu’ils ne finissent par en venir aux mains.
— En ce moment ? m’exclamai-je, étonnée. César est ici ?
Renaldo acquiesça d’un signe de tête, ne feignant même pas de s’offusquer d’une telle familiarité de ma part.
— Il est arrivé il y a une heure environ. Il ne décolère pas des attaques faites contre l’honneur de Donna Lucrezia. Il est allé jusqu’à accuser son père de se servir d’elle et de la mettre en danger. (L’intendant en frissonna.) Les cris ont redoublé, après cela. En toute honnêteté, je m’étonne qu’ils n’aient pas trouvé le moyen de fissurer les murs.
J’écoutai attentivement, mais n’entendis rien.
— Et maintenant, ce silence…
L’intendant leva les yeux au ciel.
Je partageais son inquiétude : une vive altercation entre père et fils n’était guère réjouissante, mais le calme plat était de bien plus mauvais augure.
— Quelqu’un a-t-il… ? risquai-je.
— Regardé à travers le spioncino ? Personne n’en a eu le courage. Ils ont tous fui le plus loin possible.
Comme j’aurais aimé en faire autant, si je n’avais été en totale disgrâce auprès de mon employeur. Rassemblant tout mon courage, je dis à Renaldo :
— Peut-être serait-il opportun de faire savoir à Sa Sainteté que je suis ici ?
Renaldo gonfla les joues avant de souffler longuement, ce qui en disait long sur son état d’agitation.
— Je crois que ce serait une bonne idée.
Pour autant qu’il approuvât mon intention, il ne proposa nullement de m’accompagner. Mais comment l’en blâmer ? Si j’avais été une
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