Francesca la Trahison des Borgia
liasses de papiers, de coffres ornés de pierreries, de fioles en cristal et plus surprenant, de crânes qui n’avaient pas l’air tout à fait humains. D’autres curiosités, trop grandes pour être rangées sur les étagères, prenaient la majeure partie de l’espace restant. Je remarquai des statues d’anges barbus qui, après examen, me parurent ressembler plutôt à des démons ; des bas-reliefs curieusement sculptés ; une grande pierre noire de la moitié de la taille d’un homme, dont la surface était superbement lisse, comme si on l’avait polie par le feu ; et bien plus encore que mon cerveau ne pouvait saisir sur l’instant.
— Qu’est-ce donc que tout ceci ? m’émerveillai-je. Et pourquoi est-ce enfermé ici ?
César se dévoua pour m’expliquer.
— Depuis des siècles toutes sortes de trésors se retrouvent à un moment donné dans le giron de notre Mère la sainte Église. La plupart du temps elle les approuve et les accueille même à bras ouverts, mais de temps à autre certains objets posent question ou pire encore, font naître des doutes. Quand cela arrive, ils se retrouvent ici.
Vu son penchant à mener au bûcher toute personne osant défier son orthodoxie, j’avais supposé que l’Église détruisait tout ce qui constituait selon elle une menace ; apparemment, je m’étais trompée. Une grande excitation s’empara alors de moi. J’aurais volontiers passé des heures, des jours, voire des semaines à fouiller les moindres recoins du Mysterium. Cependant ma fascination était toute personnelle, et je ne m’expliquais pas la présence de Borgia en ces lieux, surtout en ces temps difficiles.
— M’as-tu apporté la tête de Morozzi ? s’enquit le pape. Si c’est trop demandé je me contenterai de son cœur. C’est-à-dire, en supposant qu’il en ait un et que tu parviennes à le trouver.
Je l’avais vu dans bien des états — triomphant, détendu, aviné, pensif, intrigant –, mais jamais dans celui-ci. Ses cheveux, qui étaient récemment redevenus noirs grâce à l’application d’une mixture à base de noix de galle brûlée dans de l’huile et mélangée à du vinaigre, étaient tout décoiffés. Ses vêtements étaient constellés de taches sur sa poitrine, comme s’il avait mangé (ou plus probablement bu) sans faire attention. Il n’était pas rasé, et ses yeux étaient injectés de sang. Mais c’était sa bouche qui m’inquiétait le plus, car il mettait visiblement un tel point d’honneur à la maintenir fermée que ses lèvres d’habitude charnues n’étaient plus qu’une fine ligne blanche. Le Vicaire du Christ sur Terre n’était pas homme à contenir ses émotions, surtout lorsqu’elles étaient si sombres. Au mieux, il me restait quelques minutes pour le convaincre de ne pas me renvoyer sur-le-champ.
— Je ferai de mon mieux, Votre Sainteté. Comme vous le savez j’ai aussi hâte que vous d’en finir avec Morozzi, peut-être davantage encore.
Ma voix était encore rauque et cela me faisait mal de parler, mais je réussis à la maintenir ferme. César fronça les sourcils et observa ma gorge. Il avait l’air sur le point de prendre la parole, mais son père (et sa répartie légendaire) l’en empêcha.
— Et pourtant il vit encore à cause de ta vanité à ne vouloir laisser personne d’autre que toi le tuer.
Il avait raison, mais je gardai cette pensée pour moi.
— J’aurais certes pu prendre des gardes avec moi à Santa Maria. Mais dans ce cas, Morozzi ne serait même jamais sorti de son trou. Leur présence l’aurait alerté.
— Je t’avais bien dit qu’elle n’agissait pas ainsi sans raison, intervint César. Tu aurais dû m’écouter. Et maintenant tu ne t’inquiètes même pas de savoir qu’elle a été blessée.
Il me lança un regard pénétrant, et diablement intime. Je sentis la chaleur m’envahir, tout en m’escrimant à n’en rien laisser paraître.
Borgia écarta sa sollicitude d’un geste de la main.
— De toute façon, tu la défendrais quoi qu’elle fasse.
Cette remarque était tout à la fois flatteuse et préoccupante. J’avais espéré que les doutes formulés par Borgia concernant la loyauté de César (et par extension la mienne) étaient dissipés ; apparemment, ce n’était pas le cas.
— Tu as la condamnation un peu facile, objecta César. Nous avons suffisamment d’ennemis comme cela sans que tu ailles encore en inventer.
Le visage de Borgia s’assombrit.
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