Francesca la Trahison des Borgia
sorcière comme on m’accuse de l’être, peut-être aurais-je eu sous la main un charme me permettant de créer un simulacre de moi-même, qui aurait alors obéi à mes ordres pendant que je restais à bonne distance. Malheureusement pour moi, ce genre de talent me faisait défaut.
— Bien, dans ce cas, fis-je en poussant la première porte.
L’antichambre située directement avant le bureau privé de Borgia était vide. Je la traversai rapidement, ignorant sciemment les fresques d’Ève aux formes généreuses folâtrant avec le Serpent. Prenant une profonde inspiration, je regardai par le spioncino. Je m’attendais à voir le père et le fils converser plus calmement, après s’être souvenus quelque peu tardivement qu’ils n’étaient pas seuls. J’aurais alors frappé, je me serais annoncée et j’aurais espéré en dépit de tout être reçue le moins mal possible.
Le bureau était vide. Aucun signe ni de Borgia, ni de César.
J’entrouvris la porte, me glissai à l’intérieur et regardai autour de moi. Non, ils ne se cachaient pas dans un coin, attendant de me bondir dessus. Ils n’étaient vraiment nulle part.
Dès lors, trois possibilités s’offraient à moi. Ils s’étaient retirés dans l’appartement de Borgia, ce qui paraissait peu probable car Renaldo aurait sans nul doute été informé de leur présence là-bas. Ou bien ils avaient pris le passage menant à Santa Maria in Portico, mais je ne les imaginais guère, dans les affres d’une telle dispute, éprouver soudain le besoin de voir La Bella ou Lucrèce. Par conséquent, il ne restait plus que la porte secrète menant au Mysterium Mundi.
Je raisonnai sur mon devoir d’aller trouver Sa Sainteté sans plus tarder, d’apaiser ses craintes concernant mon sort et d’assumer l’entière responsabilité de mon échec dans la mission contre Morozzi. Ce faisant, je lui révélerais ma connaissance de la chambre secrète sous le Vatican, mais c’était un prix que j’étais prête à payer pour découvrir ce que recelait ce sanctuaire caché, et ce qui y avait attiré Borgia padre e figlio.
J’actionnai le levier pour ouvrir la porte dissimulée derrière la bibliothèque, et m’engouffrai dans le passage qui descendait dans les entrailles de la terre. La lumière du jour diminuait rapidement mais j’hésitais tout de même à allumer une lampe, réticente comme je l’étais à l’idée d’annoncer mon arrivée. Attendant un instant que mes yeux s’adaptent à la pénombre, je finis par apercevoir devant moi une faible lueur, suffisante pour continuer à avancer prudemment. Peu après, venant de la même direction, j’entendis des voix d’hommes chuchoter. Une légère brise, sentant la terre humide et le fleuve, me rafraîchissait les joues. Je m’approchai subrepticement des longues ombres que les deux hommes projetaient contre le mur de pierre. Ils me tournaient le dos ; je les entendais parler, sans pour autant distinguer ce qu’ils se disaient. Enfin, rassemblant tout mon courage, j’avançai dans la lumière.
César me vit en premier. Il était tout de noir vêtu et cette teinte sombre, observai-je, soulignait sa large carrure et ses cuisses musclées. Pauvre de moi, étais-je vraiment autre chose qu’une petite évaporée ? Je réussis tout de même à me faire la remarque que ses habits étaient maculés de boue, ce qui laissait à penser qu’il était rentré à Rome en toute hâte. Le soulagement qui se peignit spontanément sur son visage me surprit. Eussions-nous été seuls, peut-être y aurais-je répondu sans modération, tant j’étais heureuse de le revoir ; mais Borgia se chargea de me ramener sur terre.
— Le retour de la fille prodigue ! s’exclama Il Papa. Oserais-je demander comment tu es arrivée jusqu’ici ? Je serais fort étonné qu’il y ait un endroit plus secret dans toute la ville de Rome.
Je mentis sans hésiter, plutôt que d’avouer mon penchant à fourrer mon nez là où il ne fallait pas.
— C’est mon père qui m’a parlé de ce lieu.
Avant que Sa Sainteté puisse me questionner plus avant, je fis mine de regarder autour de moi avec grand intérêt — ce qui, du reste, n’était guère simuler. Alors qu’à ma première visite je n’étais pas parvenue à distinguer grand-chose au-delà de la grille, je voyais à présent que la pièce était remplie du sol au plafond d’étagères débordant de rouleaux de parchemins, de manuscrits enluminés, de
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