Francesca la Trahison des Borgia
document qu’il avait apporté avec lui, expliquant que c’était mon testament et que je lui donnais les pleins pouvoirs concernant mon enterrement et ma succession.
Deux hommes avaient été envoyés chercher César. Lorsqu’il arriva, les gens commençaient déjà à se rassembler dans la rue, et la rumeur de ma mort à se répandre. César entra, seul, et trouva Luigi dans la chambre ; il lui ordonna de quitter les lieux, pour se voir essuyer un refus. Le plus gentiment possible, Luigi lui expliqua ce qu’il avait dû se passer.
Mais César refusa de le croire. Je dormais simplement d’un sommeil profond, rien de plus, et il alla jusqu’au lit pour le constater par lui-même. En voyant qu’il ne parvenait pas à me réveiller, il exigea que l’on fasse mander un médecin. Le brave homme arriva à son tour, et prononça mon décès sans tarder. Il prit note de la coupe et d’une fiole gisant sur le sol.
En voyant arriver l’homme de science, la foule rassemblée dehors s’était faite silencieuse. Mais lorsqu’il ressortit de l’immeuble quelques minutes après seulement, arborant un air sombre et visiblement pressé de quitter les lieux, les derniers doutes furent balayés : cette fois-ci, l’empoisonneuse du pape n’était bel et bien plus. La plupart des gens firent preuve de bon sens en rentrant chez eux, mais d’autres se dépêchèrent d’aller colporter la nouvelle dans toute la ville. Rocco l’entendit alors qu’il était en train d’ouvrir son échoppe. Aussitôt il reposa les volets qu’il avait en main, ferma la porte au verrou et partit en courant, dans l’espoir de trouver quelqu’un à même de lui confirmer que tout cela n’était qu’un tissu de mensonges.
Il arriva devant mon immeuble au moment même où César en sortait. Le fils de Jupiter était visiblement dans une rage folle : il avait saisi le condottiere par la gorge et le traînait derrière lui, proférant de sinistres imprécations contre le malheureux tout en hurlant des ordres. Les renforts arrivèrent peu après, menés par Vittoro. Il somma ses hommes de boucler le quartier, puis essaya de calmer César afin de tirer l’affaire au clair.
Ayant désormais toutes les raisons de craindre pour ma santé, Rocco tenta de pénétrer de force et finit par en venir aux mains avec plusieurs gardes. Son angoisse était telle qu’il eut tôt fait d’avoir le dessus sur eux — pour être maîtrisé l’instant d’après par Vittoro, qui l’étreignit fermement et le retint jusqu’à ce qu’il se soit calmé.
— Elle est partie, lui dit Vittoro. On ne sait pas encore comment ni pourquoi, mais c’est la vérité. Je suis désolé. Il n’y a rien à faire, à part tenter d’empêcher que la situation devienne incontrôlable.
Pendant ce temps, César était retourné à l’intérieur. On l’entendait maintenant hurler après Luigi.
— Vous ne l’emmènerez pas, vous m’entendez ! Jamais je ne l’autoriserai ! Comment osez-vous même suggérer pareille chose…
Luigi tenta alors de le raisonner. Il fit remarquer ce qui, à ce stade, était déjà colporté du Palatin au Capitole : l’empoisonneuse de Borgia s’était elle-même empoisonnée. Pire, son geste était délibéré.
Je me plais à imaginer qu’à présent la ville entière était en train de se parer d’un voile de terreur délicieuse. Les gens sont toujours prédisposés à se réjouir du malheur des autres, mais jamais autant que s’ils sont convaincus que les souffrances sont méritées. J’étais une femme qui s’était élevée au-dessus de sa condition, et avait fui la vie que nous sommes toutes censées désirer pour devenir un personnage craint et antipathique. Et voilà que j’avais été frappée subitement, à n’en pas douter par une main divine exprimant ainsi son mécontentement à mon endroit. Qui plus est, j’allais à présent devoir expier mes péchés pour l’éternité. À la vérité je suis même surprise qu’il n’y ait pas eu de célébration impromptue, au moins à la Fraternité, car les disciples de Savonarole ont certainement pensé que la voie était désormais libre pour envoyer Borgia en enfer à ma suite. Mais peut-être étaient-ils simplement trop occupés à mettre la touche finale à leur plan pour festoyer.
César et Luigi continuaient à se disputer à mon propos, le premier refusant de donner son autorisation pour que mon corps soit emporté, au motif qu’il y avait erreur :
Weitere Kostenlose Bücher