Francesca la Trahison des Borgia
siècles.
— Converso !
— Sale juif !
— Maman !
— Chut, ne dis rien. S’il vous plaît mon Dieu, faites qu’elle ne voie pas !
Une terreur comme je n’en avais jamais connue me submergea. En esprit je hurlai, je griffai, prête à tout pour m’échapper ; mais j’étais totalement prise au piège. Derrière le mur. J’allais en perdre la raison, c’était évident.
Toutefois, j’eus le temps d’éprouver la miséricorde de Dieu. Alors que j’avais l’impression d’être sur le point de me briser en mille morceaux, les ténèbres m’engloutirent pour de bon. Je me sentis attirée vers le bas et les profondeurs glaciales, puis conservée, intacte et entière, dans le linceul de mon propre corps.
J’ignore combien de temps je restai ainsi. De temps à autre, mon esprit s’animait mollement, tel un animal blessé. Je savais que j’étais encore de ce monde sans toutefois en faire partie, car je flottais dans cet entre-deux, à la lisière entre la vie et la mort.
Pendant ce temps, il se passa beaucoup de choses ; mais je ne l’apprendrais que plus tard, lorsque les héros de cette histoire me racontèrent ce qui suit.
30
Tout avait pourtant commencé comme prévu, avec la découverte de mon corps par Portia lorsqu’elle vint me porter le petit-déjeuner le lendemain matin. Elle entra dans l’appartement sous la surveillance d’un garde et alla directement au garde-manger, où elle posa un panier rempli de pain frais, d’œufs et d’un peu de ce bon fromage de chèvre de Vénétie qui, comme elle le savait, était l’un de mes péchés mignons. En ne me voyant pas arriver, elle alla dans la chambre sur la pointe des pieds. Elle ne voulait pas me réveiller, si je dormais encore. Naturellement, elle se disait aussi que je m’étais peut-être de nouveau évadée, auquel cas elle ne voulait pas faire quoi que ce soit qui puisse éveiller l’attention de mes geôliers.
Il lui fallut quelques instants pour que ses yeux s’adaptent à la pénombre. Au début elle crut que j’étais réellement endormie, mais la raideur de ma posture l’interpella : il se passait quelque chose d’anormal. Elle approcha discrètement du lit et me regarda de près. Ainsi qu’elle me le décrivit après, « Ta peau était aussi pâle que l’albâtre, tes lèvres vides de toute couleur, et rien n’indiquait que tu respirais encore. »
Portia poussa alors un cri ; elle ne put s’en empêcher, mais parvint tout de même à l’étouffer en pressant sa bouche des deux mains. Ses yeux tombèrent ensuite sur la coupe vide et la fiole gisant au sol. Elle saisit tout de suite leur signification.
Elle tourna les talons et quitta l’appartement, ses jambes manquant de se dérober sous elle. Au garde, elle annonça que j’avais une soudaine envie de miel et qu’elle partait m’en chercher. Ne remarquant rien d’inhabituel dans son attitude, l’homme la laissa passer et se remit en position devant ma porte sans même le signaler aux autres condottieri.
La portatore se rendit directement chez Luigi, où le pauvre homme était en train de faire les cent pas dans son bureau en attendant des nouvelles. Il la fit aussitôt entrer, et la pauvre femme fondit en larmes en lui racontant ce qu’elle venait de découvrir.
Luigi lui ordonna de rester là, et se rendit immédiatement chez moi. Lorsque le condottiere refusa de le laisser passer, il fit un tel charivari que des fenêtres s’ouvrirent bientôt dans toute la rue et des têtes curieuses en sortirent, se demandant bien ce qu’il se passait.
— Bonté divine, je te dis que je dois voir Donna Francesca sur-le-champ ! Je m’inquiète pour sa santé. S’il lui est arrivé quoi que ce soit et que tu sois resté là sans bouger, ton maître te fera écarteler. Et je veillerai personnellement à fournir les chevaux pour le spectacle !
Le condottiere devint blême, mais il n’était pas sans courage. Insistant pour que Luigi attende dans la loggia, il monta lui-même jusqu’à mon appartement d’un pas bruyant, ordonna au garde d’ouvrir la porte et entra.
L’instant d’après il ressortait en ayant l’air d’un homme qui venait de voir sa propre mort et non la mienne.
Dans la confusion qui s’ensuivit, Luigi réussit à pénétrer lui aussi dans ma chambre. Il confirma que j’étais selon toute vraisemblance décédée, tout en priant prestement pour que ce ne soit pas le cas en réalité. Il produisit également le
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