Francesca la Trahison des Borgia
Lucrèce était à ses côtés, sanglotant d’un air pitoyable tout en surpassant son frère dans ses vœux de vengeance. Juan n’était pas là, mais il y avait tout de même un nombre remarquable de personnes présentes. La plupart étaient des ecclésiastiques, qui n’étaient pas davantage prémunis que le commun des mortels contre l’excitation grandissante autour de mon trépas. Les ambassadeurs étrangers furent quelques-uns à s’inviter également, ayant hâte de rapporter à leurs maîtres la tournure que prenaient les événements. Et même une poignée de religieuses, qui se tenaient le plus loin possible du centre de la chapelle, persuadées comme elles l’étaient que la foudre allait tomber dès que la strega entrerait dans le sanctuaire, et réduire en cendres tous ceux qui auraient le malheur de se trouver trop près de moi. Elles durent être rudement déçues en constatant que rien de tout cela n’arrivait.
Rocco se fraya un chemin à l’intérieur et alla trouver Vittoro, qui était là en compagnie de Felicia, de Nando et du reste de la famille : tous étaient venus, filles, gendres et petits-enfants, ce qui me fit vraiment chaud au cœur lorsque je l’appris. Renaldo s’affairait ici et là, veillant à ce que tout se déroule au mieux, tout en se tamponnant les yeux avec sa manche. À un moment donné il s’effondra et se mit ouvertement à pleurer, mais se domina rapidement et retourna vaillamment à sa mission. Portia réussit à entrer au moment même où ils fermaient les portes, et alla se poster à côté de Luigi — qui était dans tous ses états, comme vous pouvez l’imaginer. Dans son affolement il laissa échapper la vérité à la portatore, fort heureusement à voix basse. Elle accueillit cette nouvelle avec une telle joie qu’une nouvelle rumeur naquit sur-le-champ : pour être aussi heureuse en pareil moment, elle devait forcément être impliquée dans ma fin prématurée.
La seule lueur d’espoir dans tout cela vint de Borgia, qui s’était suffisamment remis du choc de mon décès pour se rendre compte qu’il était vraiment sur le point de perdre le contrôle de la situation. La populace était par trop excitée, et lui-même par trop vulnérable. En conséquence il expédia la messe autant que possible, se contentant d’une brève homélie dans laquelle il me compara tout de même à Esther, qui avait sauvé son peuple de l’extermination à Babylone. Ce faisant, il suggérait également que j’étais une juive qui allait être enterrée avec les honneurs dus aux plus dévots des catholiques, ce qui ne manqua pas de causer une certaine commotion dans la chapelle ; sur ce, le pape bénit toute l’assemblée et lui dit d’aller en paix. À peine en eut-il terminé qu’il donna l’ordre à Vittoro de doubler la garde autour du Vatican et d’envoyer tous ses espions dans les rues de Rome, histoire d’humer un peu le vent.
Toujours en pleurs, Lucrèce s’approcha de moi et m’embrassa tendrement sur le front. Puis César lui fit signe de venir dans ses bras, et ensemble ils sanglotèrent de plus belle. Ce fut elle qui le fit sortir au final, en lui murmurant qu’il fallait se réjouir pour moi car je me trouvais dans un monde meilleur, maintenant, tout en exigeant que Morozzi meure à petit feu et en suppliant qu’on l’autorise à participer à sa mise à mort.
Luigi n’était plus très loin de s’effondrer, à présent. Oubliant toute dignité, il se jeta sur Borgia pour l’implorer :
— Laissez-moi l’emmener maintenant, pour l’amour du ciel ! Nous sommes au bord du précipice, ici, vous le savez comme moi. Laissez-moi ramener son corps, avant que quelque chose de terrible n’advienne !
Je ne saurais dire si le pape croyait vraiment que les Romains étaient sur le point de se soulever, indignés par la présence d’une sorcière apparemment juive dans le saint des saints. Ou peut-être craignait-il que je finisse comme Hypatie d’Alexandrie, une autre femme qui n’était pas à sa place : dans l’Antiquité, elle avait été lapidée et brûlée vive par une foule en colère, pour avoir commis l’impardonnable péché d’être mathématicienne et philosophe. Toujours est-il que Borgia devait savoir qu’il ne pouvait faire davantage pour maintenir la paix au sein de sa famille et, soit dit en passant, apaiser mon âme vengeresse.
Il agita une main, comme pour être débarrassé au plus vite de cet épineux
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