Francesca la Trahison des Borgia
ne pas se faire voir, et tous étaient armés de pied en cap. Nous nous faufilâmes parmi eux, et fûmes salués par un jeune garde qui bondit au garde-à-vous dès qu’il vit César. En revanche, il me remarqua à peine – exactement ce que je souhaitais.
— Signore, fit-il. Aucune activité depuis que le duc de Gandie est revenu ici il y a à peu près une heure. Personne n’est entré, ni sorti.
César hocha la tête, tout en gardant les yeux sur la maison.
— Et sur le toit, rien n’a bougé ?
Je comprenais son raisonnement : quelqu’un aurait pu sentir la fumée ou apercevoir des flammes s’élever depuis le bâtiment adjacent à Sainte-Marie, et monter là-haut pour en avoir le cœur net. Encore maintenant, un voile de fumée flottait dans l’air. Pour une soirée de juin il était bien plus épais qu’en temps normal, ce qui indiquait sans conteste qu’un incendie conséquent s’était déclaré à proximité.
Mais le condottiere secoua la tête.
— Non, Signore. Rien du tout.
— Alors, on attend, en conclut César. Se tournant vers moi, il ajouta :
— Cela ne saurait être long.
Nous attendîmes toute la nuit. À chaque heure qui passait, César devenait davantage frustré et impatient. Par deux fois il me fit signe de le suivre, et nous allâmes discrètement vérifier la sortie du tunnel secret, près du fleuve. Les hommes qu’il avait postés là étaient visiblement sur le qui-vive. Ils lui jurèrent (et je les crus aisément) que le seul signe de vie dans les parages venait des rats, qui étaient sortis dès la nuit tombée et n’avaient ensuite cessé de faire des allers-retours entre le fleuve et les berges.
On nous certifia peu ou prou la même chose aux écuries, où les chevaux dormaient paisiblement sous l’œil vigilant des hommes d’armes, prêts à bondir si nécessaire.
Nous retournâmes donc à notre point de départ près de la maison, et l’attente continua. J’eus bientôt les jambes raides, et mal aux reins. Eussions-nous guetté une autre proie que Morozzi, j’aurais trouvé une excuse pour aller me coucher. Mais les circonstances étant ce qu’elles étaient, je m’assis par terre, m’adossai contre un mur et bientôt, somnolai.
L’aube approcha ; toujours aucun signe de Morozzi. César était hors de lui.
— Cela n’a pas de sens, enfin, fulmina-t-il. Il doit pourtant savoir qu’à chaque heure qui passe, il risque davantage d’être repéré. Et quand Giovanni Sforza arrivera ce sera pire, il y aura des condottieri dans tout Rome.
Je me relevai avec raideur, et m’époussetai comme je pus.
— Peut-être soupçonne-t-il qu’on le surveille. Pourquoi ne vas-tu pas tout bonnement le chercher à l’intérieur ?
À mon avis je connaissais la réponse à cette question, mais j’espérais quand même arriver à persuader César de le faire. En ce qui me concernait, c’était encore la solution la plus simple.
— Au cas où tu ne l’aurais pas remarqué, répliqua César, mon frère a ses propres gardes. Si je tente d’entrer sans sa permission, il y aura du grabuge, c’est certain. Morozzi pourrait profiter de la confusion pour s’enfuir.
Cela me paraissait peu probable – mais pas impossible, au vu de la fourberie du prêtre fou. Plus vraisemblablement, cette retenue (inhabituelle chez César) était liée au fait que son père le tiendrait certainement pour responsable si du sang était versé au détriment de Juan. Tout ce qu’il cherchait à faire, présentement, c’était de remonter dans l’estime de son père, de prouver qu’il était un homme d’action, capable de triompher d’un ennemi mortel, un vrai chef. Jamais il ne tenterait une manœuvre susceptible d’amener Borgia à croire qu’il avait uniquement agi dans le but de discréditer son frère.
Le mien était plus simple : je voulais voir Morozzi mort.
L’année précédente j’avais réussi à déjouer les plans du prêtre fou, mais à la toute dernière minute. Comme vous le savez déjà, je ne l’avais pas estimé à sa juste valeur ; et sans même m’en rendre compte, j’avais aussi fait certaines suppositions sur son compte qui s’étaient avérées totalement fausses. Je me demandais si je n’étais pas en train de recommencer, tout comme César.
Car enfin, un piège avait été tendu, avec comme appât rien de moins que le pape lui-même. Tout portait à croire qu’il aurait dû tomber dedans. Or il semblait se satisfaire
Weitere Kostenlose Bücher