Francesca la Trahison des Borgia
que mal debout, je me dépêchai de quitter les lieux. Une fois en sécurité devant la bâtisse, je l’observai une dernière fois. Elle ne me révéla rien de plus que ce que j’avais déjà deviné : l’incendie avait été terrible et étonnamment rapide, ce qui ramenait à néant la probabilité que quiconque ait pu en réchapper. Mais cela n’expliquait pas tout.
Bon sang, quelle était cette odeur ?
Je fermai les yeux, et approchai lentement mes doigts du nez. Ce faisant, je me demandai bien pourquoi je perdais ainsi mon temps. Morozzi n’était pas sorti de la maison de Juan comme nous l’avions escompté. Par conséquent c’est qu’il n’y avait jamais été pour commencer, malgré ce que César pensait, ou bien…
Avait-il trop peur pour sortir ?
Cela ne concordait pas vraiment avec ce que je savais du prêtre fou. C’était un vrai fanatique, convaincu que Dieu Tout-Puissant était à ses côtés. J’aurais pu l’affubler de quantité de qualificatifs, mais celui de pleutre ne lui convenait guère.
Dans ce cas, s’il n’avait tout simplement pas besoin de sortir ?
Mais comment serait-ce possible ? Comment pouvait-il rester en sécurité dans la maison de Juan et réussir tout de même à tuer Borgia ?
Un poison. Dans de la nourriture, ou une boisson, quelque chose en tout cas dont le pape serait amené à se servir durant la cérémonie nuptiale. Mais j’avais tout vérifié, et revérifié encore. Pas une meule de fromage, pas un fût de vin, pas un poulet, cochon, navet, brocoli, n’avait échappé à ma vigilance – dont j’avais redoublé après l’attaque contre Lucrèce, en plus. J’avais forcément dû rater quelque chose. Mais quoi ?
La panique s’empara de moi mais très vite, Dieu merci, je me raisonnai, en me répétant sévèrement que Morozzi n’était pas un empoisonneur, même s’il aspirait à devenir alchimiste. Il n’avait aucune véritable connaissance des différentes substances mortelles et de la meilleure façon de les combiner. Certes il aurait pu s’instruire auprès d’un confrère florentin, mais jamais il n’aurait réussi à maîtriser l’art de l’empoisonneur en si peu de temps.
Aurais-je oublié quelque chose, dans ce cas ? Ma première réaction était de dire que non, surtout après ce que Lucrèce…
Après l’attaque ratée contre Lucrèce, je m’étais tenue deux fois plus sur mes gardes. L’étrange épisode des savons, que l’on avait contaminés mais qui n’auraient jamais pu tuer, m’avait plus que jamais convaincue que Morozzi allait tenter d’empoisonner Borgia.
Et si tout cela n’avait été qu’une diversion ? Un moyen de me faire regarder là où cela arrangeait le prêtre fou, pour pouvoir agir à sa guise ?
Pour l’amour du ciel, mais quelle était cette odeur ?
De nouveau, je fermai les yeux. De nouveau j’inspirai, et enfin je sentis, sous la fumée et le bois, sous le feu et la pierre… l’odeur sèche, âcre mais ô combien caractéristique du… soufre ?
L’un des trois principes actifs en alchimie avec le sel et le mercure, qui se caractérise par sa capacité à condenser la matière du feu. Je l’avais déjà manipulé dans un certain nombre d’expériences, et je connaissais les propriétés de cet élément.
Y aurait-il eu des alchimistes dans les rangs d’Il Frateschi ? La sainte Église s’oppose à nos activités, ne sachant si nous cherchons à sonder les mystères du divin ou bien à vénérer le diable. Ce qui est certain, c’est qu’elle n’encourage pas notre curiosité.
Mais y avait-il une autre explication à la présence de soufre dans les ruines de la pension ?
Au loin j’entendis une clameur et compris que Sforza était en chemin vers la basilique Saint-Pierre, où il était prévu qu’une messe l’accueille officiellement à Rome – et dans La Famiglia. C’est Borgia qui allait la célébrer avec César et Juan à ses côtés bien sûr, et le plus jeune, Jofre, serait certainement là aussi. Finalement, seule la première intéressée serait absente.
À l’évidence, la basilique serait pleine à craquer de princes de l’Église – du moins ceux qui restaient alliés à Borgia ; de riches nobles et de négociants ; d’ambassadeurs étrangers, et aussi…
Du soufre !
Peut-être le criai-je ; je ne saurais le dire avec certitude. Ce que je sais, c’est que je tournai les talons et me mis à courir aussi vite que je le pus, à travers la
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