Francesca la Trahison des Borgia
qu’au final Morozzi mourait.
Mais naturellement, je ne voyais pas les choses sous cet angle.
— Pour l’amour du ciel, s’écria-t-il au bord de l’exaspération, en passant une main dans ses cheveux. Tu ne fais vraiment confiance à personne. Pas à une seule âme.
Que pouvais-je répondre à cela ? Il m’avait bien cernée.
— Non.
— Pas même à ce verrier, Pocco…
— Rocco.
— Tu ne lui as pas parlé de ton macabre stratagème, n’est-ce pas ?
Quelqu’un saurait-il m’expliquer exactement comment nous en étions arrivés à parler de Rocco alors que le seul sujet que j’avais envie d’aborder présentement était Morozzi ? César s’inquiétait-il vraiment de ma relation avec un autre que lui, ou était-ce simplement un moyen de faire diversion ?
— Je ne voulais pas qu’il soit impliqué dans tout cela. Il va se marier.
César leva un sourcil. Il n’était qu’à quelques mètres de moi. Je l’observai – l’ombre nichée dans le creux de sa joue, ses sourcils épais, comme protégeant ses yeux, la douce pulsation d’une veine dans son cou musclé. Je me concentrai soudain sur cette vie qui battait en lui, et la noirceur en moi remua de nouveau.
— Ah bon ? Avec qui ?
— Carlotta d’Agnelli. C’est un bon parti pour lui. Il aura une chance d’être heureux.
César soupira, et fit un pas en avant.
J’en fis un en arrière, ne sachant ce que je craignais le plus, qu’il tente de me désarmer ou que je perde tout contrôle et me jette sur lui.
— Dis-moi ce que tu me caches, le sommai-je.
Il feignit de ne pas m’avoir entendue – ce qui était ridicule vu comme nous étions près, si près que je voyais sa poitrine se soulever et retomber calmement, et m’imaginai combien il serait facile d’en arrêter le mouvement. Il y aurait du sang, pour sûr, ce sang que je haïssais et craignais, tout en le réclamant désespérément. Mes ténèbres intérieures s’imposaient à chaque instant davantage à moi, je le sentais. Il fallait en finir vite. Mais César semblait n’en avoir cure.
— Qu’est-ce que le bonheur ? s’exclama-t-il. Tu gagnes ou tu perds, et entre les deux tu ne fais que te battre. Voilà l’essence de la vie. Tout le reste, ce n’est qu’une belle histoire racontée aux enfants.
— Et des deux c’est moi, la cynique ?
Vraiment, les enseignements des cyniques grecs m’échappent. Il me paraît proprement absurde de prôner une vie affranchie de tout, désirs, possessions matérielles, sous prétexte que rien n’a vraiment de valeur. Nous sommes de ce monde ; par conséquent, nous devons accepter nos êtres imparfaits du mieux possible. Prétendre être autre chose que ce que nous sommes est pour moi le pire des aveuglements.
— Dis-le-moi, César ! Qu’est-ce que tu caches ? Ou bien devrais-je dire qui ?
— Tu me prêtes bien trop de latitude. Je suis seulement le fils de mon père, qui compte bien me voir marcher docilement sur ses traces telle une marionnette. Ce genre de créature ne vaut rien.
— Si tu deviens pape, tu penseras différemment.
— Si je deviens pape, c’est que vraiment le monde ira à vau-l’eau, car jamais il n’y aura eu de plus grand outrage fait à la nature. Juan… En toute sincérité, tu le crois vraiment capable d’être un duc digne de ce nom ?
— Je le connais à peine.
Certes ce que j’avais vu de lui ne m’avait pas impressionnée, mais à sa décharge, le fait qu’il me considère comme une sorcière méritant le bûcher avait quelque peu influencé mon opinion.
— Et moi je ne le connais que trop bien, rétorqua César. C’est un idiot, et pas autre chose. Mais notre père l’aime et ne pensera jamais du mal de lui, sauf si je réussis à lui donner la preuve irréfutable de ce qu’il a fait, l’imbécile.
J’entendis pourtant distinctement César, mais ses paroles avaient tant de répercussions possibles que cela m’en donna le vertige. Il me fallut respirer une fois, deux fois, avant de seulement commencer à digérer ce qu’il avait l’air d’affirmer.
— Juan ? Ton frère Juan donne asile à Morozzi ?
Cet ignare de fils cadet, qui réussissait seulement à être le préféré de Borgia en raison de son empressement zélé à faire tout ce que le pape demandait de lui ? C’était lui qui complotait avec l’assassin en puissance de son père ?
— Mais enfin, pour quelle raison ferait-il une chose pareille ?
— Je n’en
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