Francesca la Trahison des Borgia
semblant de normalité.
Rocco se leva en repoussant le banc sur lequel il était assis et sortit dehors. Je n’entendis pas ce qu’il dit à Nando, mais fus soulagée en voyant le sourire et l’air impatient qu’arborait le garçon lorsqu’il revint en courant à l’intérieur.
— On va visiter le Vatican, Donna Francesca. Tu viens avec nous ?
— Bien sûr.
Mon enthousiasme feint parvenait peut-être à berner l’enfant, mais je ne pouvais espérer dissimuler mes sentiments à Rocco si je ne trouvais pas au préalable le moyen de les contenir en moi. Je ne connaissais qu’une seule façon d’y arriver : me détourner de la lumière qu’il apportait dans ma vie pour donner libre cours aux ténèbres.
Ainsi, nous sortîmes dans le quartier animé – un homme, une femme, un enfant. L’on aurait fort bien pu nous prendre pour une famille insouciante, à ceci près que parmi nous, il y en avait une qui évoluait parmi les ombres et n’avait en tête que la mort et la façon la plus sanglante de la donner.
En ce jour de semaine, il y avait considérablement plus de monde dans les rues. Je redoublai d’efforts pour observer avec attention notre environnement, de manière à déterminer si on nous suivait. Je ne vis rien de suspect, mais comment en avoir véritablement la certitude ? Un membre d’Il Frateschi pouvait fort bien nous espionner en ce moment même. Et pour autant que je le sache, c’était peut-être aussi le cas des espions de Borgia.
Vittoro était sur le point de partir pour la caserne lorsque nous arrivâmes. Il se tenait sur le seuil de la porte en compagnie de sa femme, Donna Felicia, qui était en train de lisser son pourpoint sur les épaules.
— Donna Francesca, s’exclama le capitaine en me voyant. (Son regard passant ensuite à Rocco, puis à Nando.) Et vous êtes Moroni, le maître verrier, c’est bien ça ?
Tandis que les hommes se jaugeaient, je passai un bras autour des épaules de Nando. Ainsi que je l’avais escompté, les grands yeux et le sourire timide de l’enfant attirèrent l’attention de Felicia. Elle se baissa pour le regarder.
— Et qui est ce bien beau jeune homme ?
— Mon fils.
Rocco l’attira à lui. Lorsqu’on en eut fini des présentations, il se tourna vers le garçon :
— Nando, je vais parler au capitaine Romano quelques instants, d’accord ?
Le petit acquiesça, acceptant volontiers la main que lui tendait Donna Felicia, d’autant qu’elle lui proposait un bocconotto crémeux tout juste sorti du four. Nous entrâmes tous trois dans la petite pièce où Vittoro recevait les visiteurs, juste après l’entrée. Une fois là, je ne perdis pas de temps à expliquer la raison de notre venue.
À peine en avais-je terminé que le bon capitaine nous donnait déjà son assentiment.
— Bien sûr qu’il peut rester chez nous. Felicia va être ravie. Nos petits-enfants ont beau venir ici quasiment tous les jours, elle se plaint tout le temps que la maison est vide. (Il se tourna ensuite vers Rocco.) Soyez sans crainte, on s’occupera bien de lui.
Nous le remerciâmes chaleureusement tous deux, puis restâmes quelques instants de plus à parler du problème que constituait Morozzi, avant que Rocco aille trouver Nando pour lui parler. Je ne sais comment il s’y prit, mais le garçonnet parut accepter la situation sans sourciller. Donna Felicia l’avait fait asseoir à la longue table de cuisine où la famille Romano soupait encore tous les soirs ou presque au grand complet. Il avait le visage barbouillé de crème, et l’air fort satisfait.
Le père et le fils s’étant dit au revoir (pour ce que nous espérions tous n’être qu’une courte période), nous ressortîmes accompagnés de Vittoro. Rocco observa en silence la scène animée autour de nous, et plus précisément les gardes à l’exercice sous l’œil attentif de leurs officiers. J’avais la nette impression que les entraînements s’étaient intensifiés depuis quelques jours, et fus rassurée de voir que Vittoro ne laissait rien au hasard.
— Je sais que vous faites tout votre possible, constata Rocco. Mais des centaines de personnes vont et viennent ici chaque jour. Si Morozzi est déterminé, vous n’arriverez peut-être pas à l’empêcher d’entrer.
— C’est vrai, concéda Vittoro. Un assassin véritablement motivé pénétrera n’importe où. Mais souvenez-vous que Morozzi n’a jamais montré de tendance à vouloir sacrifier sa vie.
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