Francesca la Trahison des Borgia
Par conséquent, plus j’arriverai à rendre son entreprise risquée, mieux ce sera.
En se tournant vers moi, il ajouta poliment :
— Je m’inquiète davantage pour vous, Donna Francesca. J’espère que vous prendrez toutes les précautions nécessaires.
Je le rassurai sur ce point, tout en sachant pertinemment que c’était mentir. Je prendrais toutes les précautions raisonnables, mais le fait était qu’en cherchant à retrouver Morozzi pour le tuer, je lui donnais en toute probabilité l’occasion d’en faire de même avec moi. Il ne me restait plus qu’à m’en remettre à mon savoir-faire et peut-être aussi au souvenir de mon père (qui, l’espérais-je, veillait sur moi) pour me prouver que je saurais être la plus dangereuse des deux.
Toute comparaison entre Morozzi et moi entraînait inévitablement le risque d’éveiller la noirceur qui est en moi. Je craignais que ce ne soit le fait d’en appeler à un être semblable à moi, et cette possibilité me remplissait d’un effroi indescriptible. Pour me forcer à songer à autre chose, mais aussi parce que j’étais déterminée à ne laisser aucune faiblesse de ma part prendre le pas sur ce qui devait être fait, je remerciai de nouveau Vittoro pour son aide et pris rapidement congé.
Rocco et moi marchâmes un peu en silence, jusqu’à ce que je me sente obligée de lui dire :
— Tu me vois désolée de vous causer de tels ennuis. J’espère sincèrement que Nando pourra rentrer chez vous au plus vite. Je te ferai passer un message dès que le problème sera résolu.
Quelques minutes plus tôt à peine, il avait été forcé de laisser son enfant entre les mains d’inconnus, et je m’attendais à ce qu’il soit d’humeur maussade. Quel ne fut pas mon étonnement, lorsque je le vis tout à coup s’arrêter pour me faire face. Ses yeux brillaient d’un éclat dur, que j’avais rarement vu, et son visage s’était nettement rembruni.
— Que crois-tu, que je vais me dérober ? Nando est un enfant, c’est normal. Mais moi je suis un homme. Et tu ferais bien de t’en souvenir, Francesca.
J’étais déconcertée. Loin de moi l’idée que Rocco n’était pas un homme – au contraire, je pensais bien trop souvent à lui sous cet angle.
— Je sais parfaitement qui tu es. Un homme bon et honnête, qui a eu la malchance de se retrouver entraîné malgré lui dans des événements fâcheux …
— Mais enfin, ce n’est pas en restant les bras croisés que je vais le protéger ! s’écria-t-il, les traits de son visage tordus par la peur. Mon propre fils, et je suis obligé de le confier à des inconnus pour sa sécurité. Et pour couronner le tout je ne peux te protéger non plus parce que mademoiselle refuse de me laisser l’aider.
Sans crier gare, il me saisit par les deux bras et m’attira à lui.
— As-tu la moindre idée de l’effet que ça me fait, Francesca ?
À la vérité non, mais seulement parce que je ne m’autorisais jamais à étudier la question.
— Cela… ne te plaît pas, visiblement. Mais le fait est que tu n’as rien à te reprocher dans cette affaire, hormis ton amitié pour moi. Je suis coupable de t’avoir embarqué là-dedans. Si j’étais comme les autres femmes…
— Nous sommes tels que Dieu nous a faits. Si seulement tu l’acceptais, Francesca, tu trouverais…
L’accepter ? Comment accepter que notre Dieu miséricordieux ait voulu que je sois ainsi ? En y réfléchissant, une telle possibilité laissait présager une cruauté sans nom.
— Dans ce cas, qu’est-ce que Dieu ? m’emportai-je. Un marionnettiste tirant sur ses ficelles comme bon Lui semble ?
Fort heureusement personne ne se trouvait suffisamment près pour m’entendre, car mes mots étaient de l’hérésie pure et simple. Pour les avoir dits, je pouvais (d’aucuns diraient que je devrais) brûler sur le bûcher. Même Rocco, qui était pourtant la tolérance même, eut l’air choqué.
— Dieu n’est jamais indifférent, Francesca. Quand nous chancelons, Il pleure pour nous.
— C’est ce que tu crois, et j’aimerais le croire également, mais…
La colère le quitta aussi vite qu’elle était venue. Sans un mot, il me prit dans ses bras. Une vague de désir monta en moi, si puissante que l’espace d’un instant j’en eus le souffle coupé. Je posai ma tête contre son torse, et laissai sa force m’envelopper.
La douce étreinte de Rocco fit disparaître tout le reste. Le monde
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