Francesca la Trahison des Borgia
je doute qu’il puisse se passer quoi que ce soit à Rome sans que tu en sois informé.
Luigi ne se laissa pas aller à de la fausse modestie, ce qui m’allait très bien. Saisissant tout de suite ce que je voulais dire, il ajouta :
— Tu fais allusion aux portatori de mes immeubles ?
J’acquiesçai d’un signe de tête. Portia et ses confrères étaient les yeux et les oreilles du banquier dans la ville. Ils savaient mieux que quiconque qui allait et venait, qui avait des secrets à cacher, qui commettait des indiscrétions. J’étais bien persuadée que Luigi mettait à profit les informations qu’il recueillait par ce biais ; à moi de le convaincre de mettre son réseau à la disposition d’une plus noble cause.
— Si l’on pouvait leur demander de prêter une attention particulière aux nouveaux venus en ville (en particulier toute personne en provenance de Florence), et plus généralement d’être à l’affût de Morozzi, cela me serait d’une grande aide.
— Bien sûr, me rassura Luigi. Mais tu as conscience, j’imagine, qu’il pourrait loger n’importe où. Nous savons qu’Il Frateschi a des sympathisants ici, mais où ?
Si j’y avais déjà songé, cela ne me décourageait pas pour autant.
— Où qu’il soit, il n’est pas invisible. Quelqu’un, quelque part, a forcément eu un contact avec lui. Peut-être ne s’est-il agi que de livrer des courses ou bien d’apporter ce qui semblait être un message innocent, ou encore de surprendre une conversation sans en saisir la portée.
— Ce ne sera pas facile mais tu as peut-être raison, approuva promptement Luigi d’un hochement de tête. Je vais voir ce que je peux faire.
Je le remerciai et la discussion bifurqua ensuite vers d’autres sujets, certainement pour lui permettre de dissiper son sentiment de honte. Il m’informa avoir réussi à sauver la carte de Juan de la Cosa dans sa fuite de la villa, et la ressortit pour mon plaisir. Ensemble, nous nous extasiâmes une nouvelle fois sur ce que j’espérais vraiment être (plus que jamais, à présent) le Nouveau Monde.
En suivant du doigt le littoral inconnu, Luigi me raconta :
— Colomb prétend que les hommes et les femmes peuplant les îles où il s’est rendu étaient tous incroyablement beaux, et qu’ils étaient nus hormis des feuilles qui recouvraient leurs parties intimes. Leurs intentions semblaient pacifiques et ils ne possédaient que très peu d’armes ; mais ils vivaient néanmoins dans le péché, vu qu’ils ne connaissent pas la Foi.
L’idée qu’une contrée puisse être un tel éden me laissait sceptique, et à dire vrai, même si ses habitants étaient bien disposés envers nous, je ne les enviais pas d’avoir fait notre rencontre. D’après mon expérience, nous sommes par trop versés dans l’art de draper les actes les plus vénaux d’une intention vertueuse.
Je quittai Luigi quelques instants après, dans l’intention de retourner au Vatican. C’était une bonne chose, pour sûr, que Vittoro renforce la garde autour de Borgia, mais tout cela ne servirait pas à rien si un poison échappait à ma vigilance. Il allait me falloir en redoubler.
Réfléchissant à la meilleure façon de procéder, je tournai à un coin de rue et me retrouvai soudain parmi une foule de gens rassemblés devant un immeuble. Hommes comme femmes étaient en train de rire en montrant du doigt encore de nouvelles inscriptions. Je me frayai un chemin pour voir, moi aussi, mais regrettai aussitôt.
L’artiste (bien que je répugne à l’idée de l’appeler ainsi, le fait est qu’il était doué) avait représenté de façon on ne peut plus crédible une jeune fille nue aux cheveux dorés retombant en anglaises autour de son beau visage. Elle était en train de sourire par-dessus son épaule à un personnage qu’il était impossible de ne pas reconnaître, vu qu’il portait les habits pourpres et or du pape ; la chasuble de l’homme était ouverte et révélait un énorme pénis pointé vers sa croupe offerte. Et au cas où il y aurait quelque âme ignorante pour douter encore de l’objet de la sollicitude de Sa Sainteté, la jouvencelle portait un collier dont le pendentif représentait les lettres L et B entrelacées.
Le choc me cloua sur place, suivi de près par un dégoût si intense que je craignis d’en vomir. C’est alors qu’un coup de sifflet strident résonna au loin. Une troupe de condottieri arrivait au pas de course pour
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