Francesca la Trahison des Borgia
baissa d’un ton.) Ou encore, il serait lui-même Satan, venu des Enfers pour nous tourmenter jusqu’à la fin des temps, lorsque les bons chrétiens seront séparés des pécheurs.
Je roulai des yeux en entendant de telles inepties, mais si j’eus préféré les rejeter comme autant de divagations proférées par des ignorants, j’avais dans l’idée qu’elles étaient bien plus que cela. Quelqu’un s’était visiblement lancé dans une campagne délibérée pour représenter Borgia comme le mal incarné, afin de préparer le terrain pour sa future destitution. Mon petit doigt me disait que je connaissais le coupable.
— Et que dit-on dans les tavernes ? poursuivis-je.
Renaldo secoua la tête.
— Autour du Campo, la cote est à cinq contre trois que Borgia s’en sortira. Mais dans le Trastevere, elle est à trois contre deux qu’il aura quitté le Vatican d’ici à l’automne.
— N’est-ce pas inhabituel ? Je veux dire, ce genre de chose n’est-il pas généralement décidé à l’avance ?
Je faisais allusion au fait que pour tout le monde ou presque à Rome, il était entendu que les pronostiqueurs formaient une sorte de confrérie officieuse, et que par conséquent ils ne se faisaient pas concurrence quand il s’agissait de prendre des paris.
— Peut-être les gens réagissent-ils différemment à ce qu’ils voient, proposa l’intendant. Certains dessins sont l’œuvre d’un esprit pour le moins… imaginatif.
Je n’osais songer à pire que les caricatures que j’avais vues. Changeant de sujet, je m’enquis de l’émissaire espagnol. Don Diego Lopez de Haro n’était pas encore arrivé à Rome, mais si les informations de Luigi étaient correctes (et je n’avais aucune raison de croire le contraire), il ne devait plus être bien loin.
Renaldo prit le temps de vérifier qu’aucune oreille ne traînait dans les parages avant de répondre, sotto voce :
— Il est en route, mais n’a pas l’air pressé. Peut-être est-ce la façon qu’ont Leurs Majestés de donner à notre maître le temps de peser le pour et le contre. Le pire, c’est que cela pourrait bien marcher. Lorsque Sa Sainteté ne fulmine pas contre eux et leur arrogance, elle passe en revue les différents moyens à sa disposition pour les apaiser.
C’était ce que je craignais. Avec tout cela, je n’avais pas eu le temps de m’éclipser pour aller parler à Sofia ou David, et eux non plus ne s’étaient pas manifestés. Cela ne pouvait plus durer. Si Borgia avait réellement l’intention de trahir les juifs en échange du soutien des monarques espagnols, il fallait au moins tenter de l’arrêter – même si, à vrai dire, je ne savais pas encore comment.
— Feriez-vous quelque chose pour moi ? demandai-je à Renaldo lorsqu’il eut fini sa limonade. La situation semblait bien en main dans les cuisines, et concrètement je n’avais aucune raison de croire à un quelconque danger venant de là. Il était crucial que je puisse m’absenter discrètement durant quelques heures.
— Si Sa Sainteté me demande, pourriez-vous lui dire que je suis…
Que j’étais quoi ? Quelle excuse suffirait à tenir Borgia le Taureau à distance quand il voulait – que dis-je, exigeait – toute l’attention ?
— … Dites-lui que je dois aller voir un médecin pour un problème d’ordre intime, mais que je reviens au plus vite.
Renaldo devint rouge comme une pivoine, à tel point que l’espace d’un instant je craignis pour sa santé. Pour le rasséréner je lui tapotai la main, et lui dis ensuite de ma voix la plus douce :
— Un grand merci, Maître d’Marco. Je sais que je peux compter sur vous.
Et avant qu’il ne trouve à redire, je pris la fuite.
La place était comme toujours bondée, et même davantage avec tous les gardes de Vittoro stationnés là. Comme de coutume je détournai le regard en passant devant la basilique Saint-Pierre, et pris la direction du fleuve. Cette marche bienvenue me donnait l’occasion de réfléchir à la mission que Borgia m’avait confiée il y avait déjà quelque temps. Il fallait se rendre à l’évidence, je n’avais absolument pas progressé s’agissant du meilleur moyen d’éliminer le cardinal della Rovere. Les difficultés pratiques additionnées à mon manque d’enthousiasme constituaient une formidable pierre d’achoppement, constatai-je. Je décidai donc de me pencher sérieusement sur le problème.
Je n’étais pas allée bien
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