Francesca la Trahison des Borgia

que lui se sente honteux à l’idée d’avoir eu à transiger avec Borgia me fit réfléchir au prix qu’il me faudrait un jour payer pour mon étroite collaboration avec le souverain pontife, ne serait-ce que brièvement. Malheureusement, ce n’était pas le moment de douter.
    — Je me demande…, se hasarda Luigi. Les autres sont-ils obligés de savoir ?
    Je n’avais pas songé à cela, mais après avoir considéré la question, j’en conclus qu’il ne servirait à rien d’alarmer tous les membres de Lux. Du moins pas tout de suite.
    — La situation est par trop mouvementée en ce moment, lui répondis-je. Laissons cela de côté pour l’instant, nous en reparlerons quand les choses reviendront à la normale.
    Il approuva d’un signe de tête reconnaissant.
    — Les temps sont difficiles pour nous tous, mais je n’ose imaginer ce que tu dois vivre en ce moment. Au vu du danger que tu encoures, je ne peux m’empêcher de penser qu’il serait plus sage que tu quittes la ville. Je possède un certain nombre de résidences où tu serais en sécurité. Que dirais-tu de Capri ? C’est merveilleux, à cette époque de l’année.
    L’île se situait à près de trois cents kilomètres de Rome. Luigi ne cherchait pas simplement à me trouver un refuge : il me suggérait ouvertement d’abandonner la bataille.
    — Tu es bien bon, mais sache que je n’ai aucune intention de m’enfuir. Le retour de Morozzi à Rome me donne enfin l’occasion que j’attends depuis si longtemps de venger mon père. Mais au-delà de ça, nous avons plus que jamais besoin de la force et de la ruse de Borgia pour stopper Savonarole et les autres de son espèce. Et pour cela, je suis prête à protéger Sa Sainteté coûte que coûte.
    Luigi ne parut pas convaincu, mais ne se risqua pas à ergoter avec moi.
    — Cela pourrait s’avérer difficile, reprit-il. Il m’arrive parfois de croire que le pire ennemi de notre pape n’est autre que lui-même.
    Je fronçai les sourcils. Le banquier avait des contacts partout, des terres gelées de la grande-principauté de Moscou au sérail de Constantinople. Si quelqu’un était à même de savoir au-devant de quels dangers nous allions, c’était lui.
    — Que veux-tu dire par là ? lui demandai-je.
    Il regarda par les fenêtres comme pour s’assurer que personne dehors ne pouvait nous entendre, puis me répondit à voix basse.
    — Leurs Majestés très catholiques sont mécontentes de la bulle que Sa Sainteté a signée. Elles en veulent davantage.
    Je laissai échapper un juron.
    — Mais il a pourtant besoin de leur soutien, s’il veut voir le problème de Naples réglé un jour.
    — C’est on ne peut plus vrai, renchérit Luigi. Le bruit court qu’ils ont envoyé un émissaire, dont la tâche consistera à exposer leurs exigences mais également… (sa voix se fit murmure)… à désapprouver Sa Sainteté pour sa tolérance des non-catholiques à l’intérieur des frontières de son pays. Ils citeront les Maures à ce propos, mais à ce qu’il paraît en privé ils suggéreront à Sa Sainteté de suivre la volonté de son prédécesseur, Innocent viii, qui au moment de sa mort se préparait à ordonner l’expulsion des juifs de la chrétienté. Toujours à ce qu’il paraît, bien entendu.
    Cette nouvelle était la pire de toutes. Si Ferdinand et Isabelle entendaient poser de telles exigences, c’était sans l’ombre d’un doute qu’ils savaient combien l’avenir de Borgia était incertain, et par conséquent combien il avait terriblement besoin d’eux. Mais tout de même, ils ne pouvaient s’attendre à ce que l’homme réagisse bien à une telle humiliation.
    — Il va être furieux, en conclus-je.
    Luigi vint confirmer mon sentiment d’un hochement de tête.
    — C’est fort probable, mais que peut-il faire ? Comme tu l’as dit, il est pieds et poings liés.
    Ainsi, Sofia, David et tous les juifs étaient potentiellement encore plus en danger que je ne le craignais. Si Borgia décidait de les sacrifier sur un coup de tête…
    — Il faut tout faire pour renforcer la position d’Il Papa si l’on veut qu’il résiste aux assauts qui arrivent de toutes parts. Mais surtout, Morozzi doit être stoppé avant que ce ne soit l’engrenage.
    En me penchant quelque peu vers lui, j’ajoutai :
    — Il m’est venu à l’esprit que tu pourrais peut-être m’aider. Sa Sainteté a beau avoir le meilleur réseau d’espions de la chrétienté,