Francesca la Trahison des Borgia
s’interrogeait de temps à autre, avant de les oublier de nouveau.
Inclinant la tête avec une véritable déférence, Benjamin s’approcha du trône.
— Ils sont venus te demander de l’aide, si tu avais l’extrême obligeance de leur accorder une audience ?
— Tu veux dire qu’ils sont venus tenter de l’acheter, rétorqua le roi des contrebandiers. Ses acolytes eurent un petit rire sinistre.
Je jetai un rapide coup d’œil à David, qui ne paraissait pas du tout amusé mais se contenait, Dieu soit loué.
Alfonso nous observa un moment, avant de nous gratifier d’un unique hochement de tête. Je pris cela comme le signe qu’il me donnait le droit de parler. Songeant qu’il valait mieux être prudente, je m’adressai à lui comme je le ferais en présence de Borgia lorsque ce dernier était passablement de bonne humeur mais nécessitait toutefois d’être pris avec des pincettes.
— Il est vrai, Signore, que l’on n’a rien sans rien et que nous ne songerions même pas à ce qu’il en aille autrement. Toutefois, nous espérons vous convaincre que notre intérêt et le vôtre se rejoignent s’agissant d’une affaire de la plus haute importance.
Était-ce parce que j’avais parlé à la place de David (on imagine toujours que c’est l’homme qui prendra l’initiative), ou bien il re était-il naturellement circonspect ? Toujours est-il qu’il réfléchit un long moment à ce que je venais de lui dire. À la fin, il me demanda :
— Et quelle est cette affaire ?
— Nous sommes à la recherche d’un individu récemment arrivé à Rome. Nous avons de bonnes raisons de croire qu’il se sert des passages souterrains pour circuler en toute discrétion à travers la ville. Cet homme est très dangereux. Il doit être arrêté.
— À vous entendre, on dirait un genre de criminel, rétorqua Alfonso, déclenchant des éclats de rire approbateurs.
— Si seulement vous disiez vrai. Mais le fait est que c’est un fou qui nous fait courir à tous un immense péril.
À la mention de la folie, son expression se fit grave. Tous les gens sensés présument que cet état est le signe que l’on est possédé par le Diable. Soit ceux qui en sont affligés ont commis un péché si grand que les démons se sentent autorisés à prendre leur âme, soit ils ont manqué à tous leurs devoirs de chrétiens en ignorant les préceptes de l’Église, en n’obéissant pas à ses prêtres, en ne versant pas la dîme ou que sais-je encore. Dans tous les cas, ils sont responsables de leur malheur. L’idée que la folie soit une maladie physique comme les autres n’est envisagée que par un très petit cercle de savants qui ont lu les écrits des médecins arabes et d’autres qui, comme eux, ont disséqué le cerveau et ainsi pu élaborer des théories quant à son fonctionnement.
Je n’avais pas de réelle opinion s’agissant de ce qui poussait Morozzi à agir aussi vilement. Mon intérêt à son égard n’allait pas plus loin que de mettre un terme à tout cela en lui ôtant la vie.
Le roi des contrebandiers plissa les yeux.
— Et quel genre de danger représente-t-il pour moi ?
J’étais réticente à l’idée de lui répondre à portée de voix de ses compères. C’est ainsi que je me penchai légèrement et lui demandai poliment :
— Puis-je approcher ?
Il hésita, se méfiant sans aucun doute. Mais après tout je n’étais qu’une jeune femme et ne semblais pas exactement menaçante, et mes vêtements suggéraient un certain rang, qui plus est.
D’un même geste de la main, il congédia les blondes et me signifia de venir. Je m’approchai tout près et parlai à voix basse pour être bien sûre que lui seul m’entende.
— Combien reversez-vous à Borgia, Signore, deux dixièmes de vos bénéfices ?
Il fronça les sourcils, peut-être à m’entendre parler aussi librement du pape et de sa propension à réclamer sa part du moindre gâteau. Mais probablement aussi parce que je semblais bien mieux informée que mon apparence ne le portait à croire.
— Moins que ça.
Je fis mine d’être impressionnée, même si je doutais fort qu’il soit honnête avec moi. Depuis son accession à la papauté, Borgia avait accentué sa mainmise sur tous les aspects de la vie romaine. Personne ne pouvait faire affaire sans lui payer ce qu’il considérait comme son dû, pas même le plus rusé des contrebandiers.
— À votre avis, combien exigera son
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