Francesca la Trahison des Borgia
malaise dès qu’ils se trouvent dans un lieu clos, mais j’avoue que je fus tout de même soulagée d’apercevoir assez vite une faible lueur devant nous.
Elle s’avéra provenir d’un conduit qui donnait sur la rue au-dessus de nous, et laissait passer la lumière oblique de cette fin d’après-midi. À mesure que nous avancions, nous tombâmes sur d’autres ouvertures de ce type. Par bonheur je sentais une très légère brise qui faisait circuler l’air, sans quoi l’atmosphère aurait été au mieux confinée et au pire difficilement respirable.
— Ce n’est plus très loin, nous rassura Benjamin.
Et effectivement, nous débouchâmes peu après sur un passage plus large, éclairé de chaque côté par des torches fixées aux murs en brique et en pierre. Au bout, ces derniers s’élargissaient encore en une vaste pièce qui, à première vue, n’était qu’un gigantesque fouillis de caisses, barils, coffres et autres objets indéfinissables. Je dus attendre que mes yeux s’ajustent à la lumière pour apercevoir des silhouettes regroupées autour d’une tribune, tout au fond.
— Allez, venez, nous enjoignit Benjamin. Mais vous me laissez parler, d’accord ?
Nous l’en certifiâmes tous deux. Je tentai de me familiariser au plus vite avec mon nouvel environnement. Sur les murs je distinguai des traces à peine visibles de fresques, sur lesquelles des hommes et des femmes habillés comme dans l’Antiquité semblaient nous regarder avec plus ou moins d’emphase et d’amusement. Ici et là, le sol était jonché de mosaïques qui autrefois avaient dû le recouvrir entièrement. Les lieux sentaient la vieille pierre, la poussière, la terre et la fumée de feu de bois. J’en arrivai à la conclusion que nous nous trouvions dans une villa enfouie depuis bien longtemps sous les différentes couches de construction de la ville, et de nouveau occupée, à présent, par des individus qui avaient toutes les raisons de vouloir passer inaperçus.
Benjamin nous pressa d’avancer vers l’estrade. Les fripons qui se trouvaient là (une vingtaine environ) étaient tous jeunes, voire guère plus que des enfants pour certains, et portaient un accoutrement bariolé, mêlant le gilet de brocart du noble à la mitre de l’évêque ou encore au pourpoint en cuir du soldat. Quelques garçons s’étaient rasé la tête, ce qui leur donnait une allure étrange d’oisillons à l’air féroce. Une poignée d’entre eux arboraient une entaille en forme d’étoile ou de croissant sur la joue, que je reconnus comme étant la marque des clans de malfaiteurs locaux. Ils étaient tous flanqués d’une ou plusieurs filles, suivant le rang qu’ils occupaient dans la bande. Toutes me dévisagèrent avec une franche méfiance.
Alfonso le Premier, re dei contrabbandieri, se prélassait au centre de ce tableau sur un fauteuil doré si délicatement sculpté que Borgia lui-même ne l’aurait pas renié, songeai-je. Il était à peine plus grand que moi en taille, mais avait l’air ne pas savoir quoi faire de ses membres maigrelets. J’estimai son âge à dix-sept ou dix-huit ans, ce qui en disait long sur les effets néfastes de la vie à Rome sur les pauvres : moins de la moitié d’entre eux verraient leur vingtième anniversaire. En ajoutant à cela les dangers liés à l’existence d’un contrebandier, ce n’était guère surprenant que ses rivaux plus âgés aient été éliminés.
Deux jeunes filles qui ne devaient pas avoir plus de quinze ans se tenaient à ses côtés, une main sur chaque cuisse et penchées au plus près pour exhiber leurs petites poitrines. Elles étaient blondes et à première vue semblaient être sinon jumelles, au moins sœurs.
Rien dans l’apparence d’il re ne permettait d’expliquer son ascension aux dépens des autres, hormis la lueur dure dans ses yeux, signe d’intelligence et de volonté.
— Qui avons-nous là ? s’exclama-t-il d’une voix légèrement haut perchée mais ne manquant pas pour autant d’autorité.
— Des amis, padrone, répondit Benjamin en se gardant bien de montrer la peur qu’il devait ressentir – comme moi, du reste. Nous étions entourés de brigands tout disposés à obéir à leur chef sur un simple claquement de doigt. À la surface, personne ne savait où nous étions exactement. Si nous ne revenions pas à l’air libre, nous irions simplement rejoindre la cohorte des disparitions inexpliquées de Rome, sur lesquelles on
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