Francesca la Trahison des Borgia
simple de protection et de réconfort qu’il offrirait, s’il le pouvait, à tous les enfants menacés par les fanatiques de l’espèce de Morozzi et Savonarole – et tout autant par les della Rovere de ce monde, qui agissent aveuglément et pour leur seul bien. À côté d’eux, Borgia paraissait presque inoffensif.
— Prions pour que cela arrive au plus vite, répliqua-t-il.
Je les regardai s’éloigner avant de tourner dans ma rue. Portia était encore à son poste. Elle leva un sourcil en me voyant arriver.
— Vous vous croyez maligne à le tourmenter de la sorte, c’est ça ?
Je feignis de ne pas comprendre, mais cela ne l’arrêta pas.
— Comment espérez-vous retenir un tel homme si vous êtes tout le temps fourrée Dieu sait où ? J’avoue que ça me dépasse.
Espérais-je vraiment retenir César ? La question me prit au dépourvu. Nous nous connaissions depuis si longtemps, et étions devenus amants si facilement que je n’avais guère songé à l’avenir jusque-là. Au contraire de ces écervelées qui se pâment de plaisir dès qu’on leur chante la sérénade, je n’avais pas le moindre intérêt pour ce genre de chose. Comment un être tel que moi l’aurait-il pu, quand on sait combien l’amour est une affaire difficile, parfois impossible, pour les gens normaux ?
Mais ce n’était pas la seule raison pour laquelle je n’avais jamais songé à un éventuel avenir avec César : le fait était que je n’envisageais pas d’avenir du tout. Mes projets n’allaient pas au-delà du jour, prochain (l’espérais-je), où je tuerais Morozzi ; de ce qu’il adviendrait après cela, je n’en avais aucune idée.
Je méditai sur cela en montant les escaliers menant à mon appartement, ouvris la porte et tombai nez à nez avec le fils de Jupiter qui me regardait d’un air furieux.
15
César se tenait là, les mains sur les hanches et un soupçon de sacrilège dans le regard.
— Tu ne lui as pas fait de mal, n’est-ce pas ? Dis-moi que non. Ce n’est pas nécessaire. J’aime les enfants, tu sais, j’en ai deux – du moins pour autant que je le sache. Je m’en occupe bien, et de leurs mères aussi. Tu ne devrais pas penser qu’il en irait autrement avec toi. Au contraire, je…
Je compris alors que Renaldo avait répété l’explication fantaisiste que j’avais si inconsidérément fournie pour justifier mon absence et que César, l’entendant, en était aussitôt arrivé à la mauvaise conclusion.
J’avoue que sa réaction me toucha. J’étais exaspérée, pour sûr, mais je me sentis aussi émue à un point plutôt troublant, je dois dire.
— Il n’y a pas d’enfant, expliquai-je en refermant la porte derrière moi. Et non, je ne veux pas dire par là qu’il n’y en a plus ; il n’y en a jamais eu pour commencer. J’ai demandé à Renaldo de dire cela pour que Sa Sainteté ne s’irrite pas de mon absence. Il ne m’est jamais venu à l’esprit que cela te reviendrait aux oreilles et que tu t’en inquiéterais.
— Alors tu n’es pas enceinte ?
Il réussit à avoir l’air à la fois soulagé et déçu.
— Je prends mes précautions.
— Mais c’est contre la volonté de Dieu !
— Pour l’amour du ciel, César, tu t’entends parler ?
J’étais trop lasse pour entamer un débat à ce sujet, n’ayant en tête qu’un bon bain, un dîner léger et un repos bien mérité. Mais c’était compter sans mon amant ténébreux. Je ne saurais dire si c’est l’idée de sa descendance qui l’avait fait réfléchir, ou bien s’il avait été pris d’une soudaine envie d’être prévenant ; toujours est-il qu’il avait inondé ma chambre de roses, et fait disposer une table recouverte d’une nappe blanche et de tous mes mets préférés.
Que pouvais-je faire, sinon mettre de côté ma fatigue et m’abandonner à ce fugace moment ? Nous fîmes un festin de ce bon vin rouge d’Ombrie (un peu plus que de raison peut-être) et de tous ces succulents plats, jusqu’à ce que son insistance pour lécher de sa langue experte la moindre miette sur mes doigts devienne par trop distrayante.
Peut-être jugerez-vous cela peu vraisemblable si je vous dis qu’un homme tel que lui, né avec autant de privilèges, était déterminé à constamment s’améliorer ; mais le fait est que César croyait beaucoup à la faculté, pour ne pas dire au devoir, qu’a l’homme de forger sa destinée. À cette fin, il avait fait sa propre analyse
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