Frontenac_T1
la perdre?
Il se revoyait encore au château de Saint-Fargeau, après la Fronde, lors de cet exil doré quâAnne avait délibérément choisi de partager avec la princesse royale. Il vivait pour sa part dans sa propriété de lâîle Savary, près de Blois, dâoù il rendit visite à Anne avec constance et régularité tout au long de ces longs mois de réclusion. «Elle était encore mon épouse, que diable, et vivait des fonds que je lui avançais, puisque lâhéritage de sa mère ne lui avait pas encore été octroyé et que son père refusait de lui verser un traître sou! »
Louis repensa au mauvais rôle du mari importun quâon lâavait forcé à jouer. Les tentatives de rapprochement quâil avait maladroitement multipliées nâavaient fait quâirriter son épouse et lui inspirer une véritable aversion. Anne était froide et désagréable avec lui. Elle le fuyait ou ne lui accordait que de rares moments dâattention. Trop occupée à ses plaisirs, elle ne pensait quâà courir retrouver mesdemoiselles de Fiesque ou dâOutrelaise pour rire, chanter, réciter des poèmes et battre la campagne en toute liberté. Et elle lui refusait invariablement son lit. Comme sa propre escapade avec la Montespan était encore récente et quâil se sentait coupable, il nâavait pas insisté et avait mis la froideur de sa femme sur le compte du dépit amoureux, dont la blessure était trop fraîche pour quâil pût exiger davantage.
Mais par la suite? Après quâAnne eut comploté avec Gaston dâOrléans pour ramener la Grande Mademoiselle dans les faveurs du roi et la faire rappeler à la cour, parce quâelle-même nâen pouvait plus de vivre aussi retirée du monde, après quâAnne, donc, fut revenue à Paris, elle avait refusé net de reprendre la vie commune. Louis avait trouvé devant lui une femme déterminée, sûre dâelle et impitoyable. Il avait eu beau invoquer ses droits de mari, sa fidélité exemplaire depuis lâépisode de la Montespan, le bonheur de leur fils, le quâen-dira-t-on, elle était demeurée inflexible, alléguant cependant quâil nâaurait pas à rougir de sa conduite et que jamais un autre homme ne le remplacerait dans son cÅur.
«Jâai autant que vous lâorgueil de la grandeur du nom que je porte et que je porterai jusquâà la fin de mes jours, et soyez assuré que je ne ferai rien qui puisse en ternir lâéclat, lui avait-elle juré en lui baisant les mains. Et, quoi quâil arrive, je serai toujours votre plus fidèle alliée dans toutes les affaires que vous entreprendrez. »
En cela, elle avait tenu promesse.
Elle lâavait toujours dépêtré des embarras sans cesse renaissants causés par ses frasques violentes et burlesques, ses coups dâautorité et son caractère impérieux et despotique. Elle avait lutté bec et ongles pour le maintenir au pouvoir durant sa première administration, en dépit de lâintendant, de lâévêque, de toutes les autorités et influences ecclésiastiques ou civiles de la colonie. Et câétait elle encore qui lâavait remis à flot après la débâcle. Rappelé à Versailles où il avait été condamné à refaire antichambre, noyé dans un troupeau de quémandeurs et de courtisans aussi en détresse que lui, Anne lâavait aidé à reconstruire pied à pied son crédit auprès du roi, jusquâà lâobtention de ce second mandat qui représentait pour lui lâultime chance de se faire valoir.
Mais cette rebuffade sentimentale avait laissé Louis amer et désillusionné. Il avait battu de lâaile de longs mois, effondré. Dâavoir à se contenter désormais de lâamitié de celle pour laquelle il se consumait encore dâamour avait achevé de le démoraliser. Il nâallait pas tarder à réaliser quâen dépit de ses nombreuses aventures galantes, il nâavait jamais été et ne serait jamais que lâhomme dâune seule femme. Il sâémut encore au souvenir de cette occasion où il avait pu tenir une dernière fois dans ses bras et consoler une Anne démontée, profondément blessée par
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