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Frontenac_T1

Frontenac_T1

Titel: Frontenac_T1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Micheline Bail
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la perdre?
    Il se revoyait encore au château de Saint-Fargeau, après la Fronde, lors de cet exil doré qu’Anne avait délibérément choisi de partager avec la princesse royale. Il vivait pour sa part dans sa propriété de l’île Savary, près de Blois, d’où il rendit visite à Anne avec constance et régularité tout au long de ces longs mois de réclusion. «Elle était encore mon épouse, que diable, et vivait des fonds que je lui avançais, puisque l’héritage de sa mère ne lui avait pas encore été octroyé et que son père refusait de lui verser un traître sou! »
    Louis repensa au mauvais rôle du mari importun qu’on l’avait forcé à jouer. Les tentatives de rapprochement qu’il avait maladroitement multipliées n’avaient fait qu’irriter son épouse et lui inspirer une véritable aversion. Anne était froide et désagréable avec lui. Elle le fuyait ou ne lui accordait que de rares moments d’attention. Trop occupée à ses plaisirs, elle ne pensait qu’à courir retrouver mesdemoiselles de Fiesque ou d’Outrelaise pour rire, chanter, réciter des poèmes et battre la campagne en toute liberté. Et elle lui refusait invariablement son lit. Comme sa propre escapade avec la Montespan était encore récente et qu’il se sentait coupable, il n’avait pas insisté et avait mis la froideur de sa femme sur le compte du dépit amoureux, dont la blessure était trop fraîche pour qu’il pût exiger davantage.
    Mais par la suite? Après qu’Anne eut comploté avec Gaston d’Orléans pour ramener la Grande Mademoiselle dans les faveurs du roi et la faire rappeler à la cour, parce qu’elle-même n’en pouvait plus de vivre aussi retirée du monde, après qu’Anne, donc, fut revenue à Paris, elle avait refusé net de reprendre la vie commune. Louis avait trouvé devant lui une femme déterminée, sûre d’elle et impitoyable. Il avait eu beau invoquer ses droits de mari, sa fidélité exemplaire depuis l’épisode de la Montespan, le bonheur de leur fils, le qu’en-dira-t-on, elle était demeurée inflexible, alléguant cependant qu’il n’aurait pas à rougir de sa conduite et que jamais un autre homme ne le remplacerait dans son cœur.
    Â«J’ai autant que vous l’orgueil de la grandeur du nom que je porte et que je porterai jusqu’à la fin de mes jours, et soyez assuré que je ne ferai rien qui puisse en ternir l’éclat, lui avait-elle juré en lui baisant les mains. Et, quoi qu’il arrive, je serai toujours votre plus fidèle alliée dans toutes les affaires que vous entreprendrez. »
    En cela, elle avait tenu promesse.
    Elle l’avait toujours dépêtré des embarras sans cesse renaissants causés par ses frasques violentes et burlesques, ses coups d’autorité et son caractère impérieux et despotique. Elle avait lutté bec et ongles pour le maintenir au pouvoir durant sa première administration, en dépit de l’intendant, de l’évêque, de toutes les autorités et influences ecclésiastiques ou civiles de la colonie. Et c’était elle encore qui l’avait remis à flot après la débâcle. Rappelé à Versailles où il avait été condamné à refaire antichambre, noyé dans un troupeau de quémandeurs et de courtisans aussi en détresse que lui, Anne l’avait aidé à reconstruire pied à pied son crédit auprès du roi, jusqu’à l’obtention de ce second mandat qui représentait pour lui l’ultime chance de se faire valoir.
    Mais cette rebuffade sentimentale avait laissé Louis amer et désillusionné. Il avait battu de l’aile de longs mois, effondré. D’avoir à se contenter désormais de l’amitié de celle pour laquelle il se consumait encore d’amour avait achevé de le démoraliser. Il n’allait pas tarder à réaliser qu’en dépit de ses nombreuses aventures galantes, il n’avait jamais été et ne serait jamais que l’homme d’une seule femme. Il s’émut encore au souvenir de cette occasion où il avait pu tenir une dernière fois dans ses bras et consoler une Anne démontée, profondément blessée par

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