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Frontenac_T1

Frontenac_T1

Titel: Frontenac_T1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Micheline Bail
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épousée jadis et qui portait son nom depuis près d’un demi-siècle. Il revoyait Anne, telle qu’en elle-même, préférant se passer de pain plutôt que d’encens, constamment aiguillonnée par le besoin de faire grand, de voir du nouveau, d’être vue, reconnue, admirée, adulée. Une passion de réalisation et une soif de se distinguer poussées à l’extrême et nourries par le culte de l’extraordinaire et de l’éclatant.
    â€” Une trop grande force de caractère chez une femme, et qui n’est propre qu’aux hommes, dans nos sociétés, souffla-t-il encore en souriant malgré lui.
    Et que cela lui plaise ou non, il se voyait bien forcé d’admettre que par cette soif inextinguible de gloire et de lauriers, elle lui ressemblait comme une sœur jumelle.
    Il revit ce fameux soir où elle lui avait tenu tête avec fougue à propos d’une démarche qu’elle voulait intenter à la cour et qu’il jugeait prématurée. Elle l’avait menée seule avec un succès qui avait dépassé de loin ses espoirs les plus fous. Et avec quelle aisance cette fille de maître de comptes était-elle passée de la bourgeoisie aisée à la haute noblesse! N’était-elle pas devenue en peu de temps l’intime de la famille royale? À preuve, son amitié avec la Grande Mademoiselle, avec Gaston d’Orléans, avec une foule de grandes dames et de beaux seigneurs, ainsi qu’avec madame de Maintenon et le roi lui-même, qui ne s’était jamais caché d’ailleurs de l’attirance qu’il avait un jour éprouvée pour Anne de la Grange-Trianon.
    Louis pouvait en rire maintenant que le temps et la distance avaient tempéré les passions, adouci les récriminations, émoussé les rancunes. Mais lui seul savait combien difficiles avaient été ces quatre années de vie commune à côté d’une épouse qui contestait avec de plus en plus d’âpreté sa situation même de femme. Elle appelait au changement, se faisait zélatrice de ces pernicieuses idées nouvelles qui circulaient dans les salons des grandes dames, incitant les femmes à croire faussement que tout leur était désormais possible, que leur sort n’était pas inéluctablement figé dans une situation d’infériorité, en fait, qu’elles pouvaient devenir les égales de l’homme...
    Il avait d’abord été touché, séduit même par la curiosité d’Anne pour les choses de l’esprit, par son avidité à lire tout ce qui lui tombait sous la main, à s’ouvrir à des réalités littéraires, artistiques et scientifiques qui l’avaient laissée indifférente jusque-là. Elle avait prétendu participer pleinement à la vie de l’esprit et arriver à se comporter en être parfaitement autonome.
    â€” Ce qu’elle n’était pas et n’a jamais été! rugit-il, dans un sursaut de ressentiment.
    Il se surprit à serrer les dents. Il touchait le fond de la blessure, posait le doigt sur la plaie inguérissable, encore douloureuse. Cette autonomie qu’elle avait fini par revendiquer jusque dans son aboutissement même, il n’avait jamais pleinement consenti à la lui accorder : elle la lui avait arrachée!
    Il se retourna sur le côté en remontant un genou vers son torse. Il avait chaud et les bruits de la cour s’intensifiaient. Il se dit qu’il n’arriverait pas à dormir dans de telles conditions et qu’il ferait mieux de se lever. Mais une léthargie persistante le clouait au lit.
    Si sa mémoire ne le trompait pas, c’était bien à cette époque qu’Anne avait commencé à fréquenter des écrivains et des poètes, à écrire sonnets, épigrammes, madrigaux et énigmes, à philosopher et à se mêler de théologie, de science, d’astronomie. Mais sur un tel fond d’ignorance et de grands airs avertis qu’il n’avait pu se retenir parfois de la trouver risible et empruntée.
    Â«Mais était-elle vraiment si ridicule? » se demanda-t-il pour la première fois. Ou n’était-ce pas lui qui s’était senti menacé par la nouvelle Anne, éclose de sa chrysalide tel un superbe monarque? N’avait-il pas tout simplement eu peur de

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