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Frontenac_T1

Frontenac_T1

Titel: Frontenac_T1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Micheline Bail
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dire, pour mon édification, qu’il m’est arrivé quelquefois de refuser la femme qu’on m’offrait si complaisamment. Car souvent, du moins chez les peuplades illinoises, la malheureuse doit s’exécuter, sans quoi elle risque la mort! Cavelier de La Salle en savait quelque chose, lui qui a raconté un jour que six filles illinoises ont été poignardées pour avoir refusé leurs charmes à l’un des membres de son expédition. Ce genre de maquerellage me fait mal au cœur et j’ai toujours refusé de m’y associer.
    Puis avec un sourire gaillard, il continua néanmoins :
    â€” S’il y avait eu plus de peine et de mystère, je ne dis pas... enfin. À vaincre sans péril, ne triomphe-t-on pas sans gloire, comme dit si bien l’adage?
    Et la conversation, arrosée d’abondantes libations, avait roulé ainsi sur différents sujets une partie de la nuit. Quand les premiers rayons de soleil parvinrent au jardin, ce fut pour éclairer crûment des hommes à moitié endormis, couchés à même le sol en chien de fusil, dépenaillés et pour la plupart encore dans un état d’ébriété avancée. Louis, dont la vieille carcasse était trop fragile pour supporter pareille nuit à la belle étoile, avait eu la sagesse de s’éclipser subrepticement avant l’aube pour regagner le confort douillet de son lit à baldaquin.
    * * *
    Les cinq heures s’égrenaient lentement au clocher de l’église, dont on percevait la flèche par-dessus la cime des arbres. Un soleil matinal, pâle et hésitant, poussait ses rayons à travers les larges fenêtres en éclaboussant la chambre de reflets ocre. Trop d’idées et de souvenirs se bousculaient dans la tête de Louis pour qu’il pût fermer l’œil, malgré son immense lassitude. En ces moments d’extrême fatigue, la quête de sens qui le poussait à interroger sans cesse son passé débouchait souvent sur un embrouillamini d’événements et de faits décousus, un entrelacs inextricable d’occasions ratées et de rêves brisés. Il ne semblait jamais rester de sa vie que des lambeaux épars, soumis aux caprices de la mémoire.
    Il ouvrit le tiroir de la commode placée près du lit pour en extraire le portrait miniature qu’il conservait précieusement depuis bientôt vingt ans. Il le prit avec précaution et le cala dans la paume d’une main. C’était une merveille de fraîcheur et de délicatesse. La patine du temps n’avait dilué ni les coloris ni la finesse du trait. L’artiste y avait peint Anne de la Grange-Trianon, son épouse, en costume de Minerve, déesse de la guerre, coiffée d’un casque à cimier surmonté d’un panache, tenant à la main droite un arc, au bras gauche un bouclier, et portant au corsage en forme de cuirasse la tête de Méduse répétée sur chacune des épaulières. Le portraitiste avait su rendre avec précision l’éclat et la beauté du modèle, la chaleur particulière du teint ivoire et la parfaite régularité des traits. Quant au regard d’Anne, il avait quelque chose de vivant, de presque réel. La ressemblance avec la jeune femme d’alors était saisissante de vérité. Ce médaillon était une copie fidèle de l’original que sa femme avait reçu en cadeau d’un admirateur – du duc de Lude, du comte de Cyran, de mademoiselle de Montpensier ou de madame d’Outrelaise? Il ne l’avait jamais vraiment su – et auquel elle tenait comme à la prunelle de ses yeux. La toile trônait bien en évidence dans la salle d’apparat de son superbe appartement de l’Arsenal, à Paris, un appartement prêté fort complaisamment par le duc de Lude, un des familiers du salon qu’elle tenait. Louis avait fait reproduire cette miniature à ses frais. C’était la seule image qu’il avait pu conserver d’elle.
    Il admirait pensivement le beau visage épanoui. Elle était alors au sommet de sa beauté. Ce portrait datait des années de la Fronde, de cette époque tourmentée où la France avait été mise à feu et à sang pour satisfaire les intérêts divergents de hauts personnages préoccupés davantage de gloire et de pouvoir personnel que

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