Frontenac_T1
était parfaitement immobile, figée dâintérêt, nâagitant son éventail que par intervalles de peur de créer diversion. à ses côtés, le baron de La Hontan semblait saisi de la même fascination.
Ce qui avait débuté sur une note sereine avait toutefois viré en confrontation. Il apparut en effet que les nations alliées ne prisaient pas la politique de pacification que Frontenac menait à lâégard des Iroquois. Une réaction unanime que Louis nâavait pas prévue. On lui reprochait dâavoir laissé la vie à des Agniers à Schenectady, alors que les Iroquois brûlaient des Français à petit feu dans leurs villages; dâavoir interdit aux alliés de lever la hache de guerre contre les Iroquois après le massacre de Lachine, ce qui leur avait causé de nombreux désagréments et des pertes dâhommes; dâavoir tenté de négocier avec lâennemi sans les intégrer dans lâalliance, ce qui les avait forcés à vouloir se rapprocher à leur tour des Iroquois pour nâêtre pas seuls à porter le poids de la guerre. Ils savaient tout des récentes ambassades de Frontenac chez les Iroquois et cela les inquiétait grandement.
Puis Atherihata, un des considérables chefs christianisés du Sault-Saint-Louis, prit à son tour la parole en sâadressant, cette fois, aux Outaouais.
â Nous avons eu vent des messages « sous terre » que vos braves ont envoyés aux Iroquois, comme il est aussi parvenu à nos oreilles que vous avez décidé de renoncer à rejoindre leur chaîne dâalliance. Mais éclairez-nous, frères alliés, et dissipez le nuage de défiance qui obscurcit nos cÅurs. Pourquoi avoir traité avec lâennemi sans la participation de notre Père commun, Onontio â et lâorateur de se tourner vers Frontenac en le montrant de la main â, et comment êtes-vous disposés, maintenant, à son égard et au nôtre?
La balle était dans le camp outaouais. Leur porte-parole, un grand et beau guerrier, se leva lentement et vint se placer bien en évidence devant le gouverneur général, entre les deux rangées de participants. Lâhomme portait pour tout attirail un cache-sexe de peau et de longs colliers. Son visage, ses jambes et son torse étaient recouverts de tatouages colorés à motifs géométriques. Les quelques femmes présentes agitaient fébrilement leur éventail tout en le dévorant des yeux. Il parla dâabondance, ne lâchant jamais le wampum quâil tenait devant lui.
â Ouvrez grands vos yeux et vos cÅurs avant de nous condamner et faites un peu attention à la conduite quâon a tenue avec nous. Vous jugerez ensuite si nous avions tort. Après nous avoir engagés dans la guerre contre lâIroquois, on nous a obligés à cesser toute hostilité, puis sans nous éclairer davantage, on nous a fait reprendre la hache. Nous ne comprenions rien à ces revirements et étions également surpris du peu de vigueur de la riposte française à Lachine. Nous avons vu les Français défaits et embarrassés à se défendre. Inquiets à lâidée que notre Père nous abandonne et soit incapable de nous secourir, nous avons cru devoir songer à notre sécurité et à celle de nos femmes et de nos enfants. Ce printemps encore, Onontio nous mettait le casse-tête dans les mains, bien quâil ait envoyé le chevalier dâO à Onontagué. Depuis, ni lâofficier ni ses compagnons ne sont revenus et des négociations qui se sont poursuivies pendant plusieurs lunes nâont donné aucun résultat. Nous sommes ici pour nous instruire de la véritable volonté dâOnontio. Quelles sont donc ses intentions? Notre Père veut-il une vraie guerre avec lâIroquois et est-il prêt à nous appuyer si nous levons à nouveau la hache contre les Cinq Nations? Ou nous abandonnera-t-il à la première occasion si les Iroquois acceptent de faire la paix avec lui?
Des murmures dâapprobation fusèrent de tous côtés. Il fallait une bonne dose de courage pour dire les choses aussi franchement. Louis ne rétorqua pas, mais il invita les autres sachems à parler aussi à cÅur ouvert. Quand Le Baron, un chef huron, prit la parole, on lâécouta posément.
â
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