Frontenac_T1
venait, cette fois, de monseigneur lâévêque. Des grognements de surprise sâélevèrent et tous les regards se tournèrent vers le vieux prélat qui rayonnait de contentement. Louis se frotta les mains en souriant. Lâaffaire était bonne...
Seul La Hontan gardait un air réservé. Il aurait eu mauvaise conscience de paraître indifférent à dâaussi généreuses donations, lui qui avait justement soutenu il y avait peu, et en sâen gaussant, que les officiers du Canada faisaient de bien piteux mariages en épousant des filles qui apportaient en dot onze écus, un coq, une poule, un bÅuf et une vache. Ne lui offrait-on pas infiniment plus?
Voyant que le jeune officier faisait encore grise mine et croyant que ce qui le retenait nâétait quâune question de décence, Louis se lança à son tour dans la mêlée.
â Ãcoutez, mon cher La Hontan, votre fiancée, mademoiselle Damour, apporte avec elle pas moins de deux mille livres en dot, ce qui en fait un des meilleurs partis de la colonie.
François Damour sursauta. Il aurait préféré en informer lui-même son futur gendre. Inconscient de lâindiscrétion quâil venait de commettre, Frontenac continua, le feu aux joues :
â Si nous y ajoutons les trois mille livres qui viennent dâatterrir si généreusement dans votre panier nuptial, cela fait bien cinq mille livres de dotation, nâest-ce pas?
Louis ressemblait à un maître-priseur occupé à faire monter les enchères. Il balayait son auditoire du regard, tout en le tenant en haleine. On aurait pu sâattendre à un retentissant «Qui dit mieux? » comme dans les enchères de bestiaux, à la différence quâil sâagissait dâun mariage et non du croisement de deux bêtes à cornes. Il sâacharnait pourtant.
â Nâest-ce pas? Chacun sâentend sur ce total? Oui? Bon, alors moi, Louis de Buade, ci-devant comte de Palluau et de Frontenac, je mâengage devant vous tous, la main sur le cÅur et le cÅur sur la main, à verser à monsieur le baron de La Hontan... la rondelette somme de... huit... mille... livres... en congés de traite!
â Ohhhhh! firent les convives, franchement impressionnés.
La négociation prenait décidément une tournure prometteuse. On sâanimait en avançant des moues évaluatives et en opinant du bonnet. Il devenait dâautant plus gênant de lever le nez sur une offre aussi alléchante que tout le monde connaissait la pauvreté légendaire de La Hontan, dépouillé de ses terres et dont les goussets étaient invariablement à sec.
Le jeune baron était sur le gril. Il se voyait coincé et cela le mettait en rage. Comment ne sâétait-il pas méfié, quand Frontenac lâavait récemment pressé de questions avec une insistance qui lui avait paru louche? Et Saint-Vallier, Callières, les autres, étaient-ils tous du complot? Il se sentit malheureux et mesquin. Il risqua un Åil du côté de François Damour qui nâavait pas ouvert la bouche, mal à lâaise dâêtre le témoin dâun pareil marchandage. Il sâagissait de sa fille, après tout, de cette belle Geneviève que La Hontan aurait agréée sans hésiter si lâaffaire sâétait négociée en France. Mais ici... Prendre femme en Canada, câétait sây fixer à demeure et sâengager à y mourir. Câétait surtout tourner le dos à la France et à lâEurope ainsi quâaux projets de voyages et de notoriété quâil nourrissait secrètement. Sâil acceptait, ne risquait-il pas de se condamner à dépérir? Ãtait-il prêt à se passer la corde au cou? Il nâarrivait pas à arrêter une décision et pouvait difficilement partager ses hésitations avec sa promise ou sa belle-famille. Quant à Frontenac, le gouverneur tenait trop à se lâattacher pour quâil pût sâattendre à quelque compréhension de sa part. Câétait une situation pénible et délicate dont il ne savait plus comment se tirer.
â Et mieux encore, messieurs, si notre jeune protégé consent à toper là , continuait Louis, ne lâchant pas prise et sâamusant à jouer les grands princes, je mâengage solennellement et devant
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