Frontenac_T1
vous tous, ce soir, Ã le faire nommer lieutenant du roi.
Nouvelles exclamations admiratives. Seul lâintendant tiqua. Il avait entendu Frontenac promettre le poste au major de Québec la semaine précédente. Une charge qui nâexistait pas encore au pays et que le vieux gouverneur réclamait du roi à cor et à cri. «Il se laisse encore emporter par sa folie des grandeurs et promet nâimporte quoi », pensa Champigny, en vidant son verre. Comme il nâaimait pas la tournure que prenait lâaffaire et quâil était fatigué, lâintendant se dirigea en douce vers la sortie.
â Il me faut du temps pour évaluer tout cela, messieurs, fit enfin le principal intéressé en rompant un silence qui risquait être interprété comme un acquiescement. Votre générosité, Votre Ãminence, monseigneur de Frontenac, monsieur de Callières, me trouble au plus haut point, et je ne vous en serai jamais assez redevable. Pour ma part, jâai trop abusé ce soir du fameux vin de notre hôte et je nâai plus lâesprit assez clair pour prendre une décision aussi lourde de conséquences. Souffrez donc que je réclame encore quelques semaines de réflexion, autant pour moi que pour mademoiselle Damour qui, jâen suis persuadé, en ferait autant si elle était ici ce soir.
Louis fit une moue dubitative. Il était déçu. Il souhaitait sincèrement retenir La Hontan dans la colonie. Il le sentait déraciné et privé dâavenir, et voulait lui offrir par un mariage et une position enviables un nouvel ancrage social. Comme un père aimant lâaurait fait pour son fils.
Pour lâheure cependant, et devant le froid que la réponse laconique du baron venait de jeter, Louis crut plus prudent de relancer la conversation dans une autre direction. Au grand soulagement des différents protagonistes qui commençaient à se demander sâils nâavaient pas poussé le jeu un peu trop loin...
* * *
Oureouaré revenait de la mission du Sault-Saint-Louis, le canot chargé de fourrures et de victuailles, quand un soldat lâavisa de se rendre aussitôt chez Frontenac. Il déchargea, retira son embarcation de lâeau, lâassujettit solidement et porta ses provisions en lieu sûr avant de se diriger vers le château de Callières.
Septembre tirait à sa fin et lâautomne sâannonçait rude et précoce. Une pluie fine et serrée comme un rideau tiré jusquâau sol obscurcissait le jour. Lâhomme était triste et préoccupé. La récente déclaration de guerre de Frontenac et des alliés contre son peuple, ainsi que la disparition de la délégation du chevalier dâO â dont celle, spécialement douloureuse pour lui, de Colin, son frère de sang â, étaient peu réjouissantes. Il avait perdu espoir de les revoir vivants et savait bien à quelles considérations ils avaient été sacrifiés. Si on avait ignoré ses implorations, câétait autant à cause des Anglais que parce que son statut de chef était fragilisé. Il découvrait à ses dépens et à ceux de ses amis quâil nâétait jamais bon de quitter sa tribu trop longtemps. Et, comble de malheur, Frontenac le boudait et lâévitait depuis quelque temps.
â Faites-le entrer.
La voix sèche et bourrue était de mauvais augure. LâIndien se tint droit et calme devant son Père et attendit lâorage comme il lâattendait enfant devant sa longue maison, sans réserve ni appréhension. Il avait toujours été honnête à son égard et nâavait rien à se reprocher. Mais Louis ne lâentendait pas ainsi. Commandant à son truchement * de traduire fidèlement ses paroles, il se lança dans un vibrant réquisitoire.
â Oureouaré, tu dois bien te douter des raisons pour lesquelles je tâai convoqué aujourdâhui. Les événements des dernières semaines ont démontré que nos démarches auprès des Iroquois ont échoué lamentablement. Lâappel que jâai lancé aux tiens en faveur dâune trêve était fondé sur lâamitié que jâai toujours eue pour ta nation. Pendant que jâai été maître de ce pays, jâai fermé la porte à la guerre, vos femmes ont été aux bois sans crainte, et
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